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n’avait pas été du reste le seul confident des intentions du roi. Le maréchal d’Harcourt avait reçu la même déclaration. Le maréchal de Villars se rendit le 21 avril à Cambrai, où le maréchal de Montesquiou le joignit, et lui remit le commandement. Cet officier, solide et brave, avait obtenu le bâton de maréchal pour sa belle conduite dans la campagne de 1709 ; mais il était incommode et frondeur, et, quoique servant sous Villars depuis longtemps, il vivait dans une médiocre intelligence avec lui. Villars estimait Montesquiou comme officier-général ; seulement, ce dernier n’ayant jamais encore exercé de grand commandement militaire, Villars aurait souhaité, à tort peut-être, d’avoir un second de plus grande autorité, pour le cas où le sort des armes mettrait encore une fois le général en chef hors de combat, comme à Malplaquet. Montesquiou dut en garder quelque ressentiment.

Arras et Cambrai semblaient être alors les points de mire du prince Eugène. Les deux maréchaux français durent s’y concentrer. On se résignait à sacrifier Valenciennes, difficile à secourir en cas d’attaque. Le prince Eugène était arrivé le 28 avril sur la ligne des opérations, précédant des renforts qui lui venaient des environs de Cologne. On pouvait croire qu’il marcherait sur la Censée et sur le Haut-Escaut, où Villars s’établissait avec précaution, inquiet cependant du mouvement offensif de l’ennemi, à cause de la difficulté des subsistances et du mauvais état de l’artillerie française. Il dut se borner là jusqu’à ce que le prince Eugène eût mieux accusé ses desseins ; mais la position n’était pas assez sûre. Villars en rendit compte au roi par la dépêche suivante, datée de Cambrai le 28 du même mois.


« Sire,

« Depuis mon arrivée sur cette frontière, je n’ai vu aucunes lettres de La Haye, d’Utrecht, ni de toutes les places ennemies qui m’assurent la paix avec l’Angleterre ; mais, comme ce n’est pas sur ces avis que je dois me régler, surtout ne voyant pas ces nouvelles confirmées par les ordres de votre majesté, je n’ai omis aucune de toutes les précautions possibles pour n’être pas surpris par un ennemi que j’ai trouve campé en front de bandière… (Détails de mesures stratégiques et locales.) J’ai informé dès mon arrivée M. le duc du Maine[1] et M. Voysin, par plusieurs lettres réitérées, que l’artillerie de votre majesté, que l’on’ m’avait assuré être prête, n’était plus en état de servir ; ce n’est que depuis quatre jours que j’ai pu envoyer 15 pièces de canon au comte de Broglie, et

  1. Dans sa lettre au duc du Maine, Villars disait au prince : « Je vais jouer gros jeu ; j’espère le trouver beau dans le talon, mais je ne l’ai pas dans la main. »