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de la vallée de l’Oise. La révolution ministérielle d’Angleterre permettait à la vérité d’espérer qu’on détacherait une des puissances alliées, mais cette espérance était chanceuse ; fût-elle assurée, elle n’avait encore qu’une influence très limitée sur les opérations militaires, et, la guerre devant continuer pendant qu’on négociait avec le cabinet anglais, la position restait au fond aussi inquiétante qu’auparavant. C’est ce qui est démontré par le simple exposé des événemens qui se passèrent sur la frontière de Flandre. Le maréchal de Villars y commandait environ 90,000 hommes, non compris les garnisons ; il avait à lutter contre des forces réunies qui étaient plus nombreuses et pourvues d’un matériel plus considérable et en meilleur état. Le duc de Marlborough venait sans doute d’y perdre son commandement, son habileté militaire était d’un grand appoint pour les coalisés ; mais la direction supérieure restait toujours aux mains du prince Eugène, qui était l’arbitre de la situation, et qui, de concert avec le grand-pensionnaire Heinsius, voulait en finir avec Louis XIV, objet constant pour eux d’une haine déclarée et d’un ressentiment profond, que partageait le chef de la maison d’Autriche et de l’empire germanique.

Pendant l’hiver, les hostilités n’avaient point cessé. Toutefois les Français s’étaient bornés à inonder et rendre inabordable le pays qu’ils ne pouvaient défendre. Dès l’entrée en campagne, les coalisés s’appliquèrent à dégager le lit des rivières et à rétablir la navigation, pour assurer leurs convois et faciliter les opérations offensives. Une série de manœuvres, de combats et de marches savantes des deux côtés eut pour objet de préparer le terrain et de garantir les meilleures chances à chacun des belligérans. Dans cette œuvre préparatoire, l’armée française, commandée provisoirement par le maréchal de Montesquiou, ne commit aucune faute et prit de bonnes dispositions ; mais cet habile officier jugeait, au grand mouvement qui se manifestait chez l’ennemi, que ce dernier ourdissait quelque dessein considérable ; les troupes anglaises avaient même pris, pendant ces premiers mois de l’année, une part très active aux diverses opérations de l’armée ennemie. Elles étaient commandées par le duc d’Albemarle, d’origine hollandaise, en attendant le duc d’Ormond, qui avait la confiance plus particulière du cabinet tory.

Le maréchal de Villars, quoique souffrant- encore de ses blessures, reprit le commandement de l’armée de Flandre en avril 1712. À cette époque, le roi venait d’éprouver des malheurs domestiques qui ajoutaient la désolation privée à la désolation publique. Au moment du départ de Villars, les angoisses du roi étaient extrêmes. Le maréchal a raconté lui-même dans ses Mémoires la noble et touchante scène de sa séparation avec le monarque accablé, mais toujours plein de grandeur et de courage.