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Le duc de Marlborough prêtait le flanc à ses ennemis par sa mauvaise réputation en fait d’argent, et par des actes de concussion aujourd’hui avérés. Il existe une lettre de Louis XIV à M. de Torcy qui est accablante pour la mémoire de ce grand homme de guerre. On ne se permet point de faire de pareilles propositions à l’homme qui est à l’abri du soupçon ; mais les tories n’osèrent se séparer de ce puissant personnage, si nécessaire à l’accomplissement des vues de la coalition. La duchesse fut maintenue même dans sa charge à la cour jusqu’au mois de janvier 1711, et, sans une lettre insolente qu’elle écrivit à la reine, elle y eût été probablement conservée plus longtemps, dépouillée, il est vrai, de toute influence sur les choses et les personnes. Quant au duc, le commandement supérieur des forces anglaises en Flandre lui fut aussi conservé. Enfin l’intérêt de la « cause commune, » comme Bolingbrooke appelait dans toutes ses lettres la guerre contre la France, semblait faire oublier toutes les rancunes.

Le cabinet tory flattait Marlborough, et Marlborough était satisfait du cabinet tory. Le duc dirigea donc la campagne de 1711 en Flandre sous le cabinet tory, comme il avait dirigé les précédentes sous le cabinet whig. Lorsque Marlborough eut forcé les lignes de Villars en août 1711, Bolingbrooke lui écrivait : « J’éprouve la joie que tout homme de bien doit ressentir lorsque l’ennemi commun reçoit un échec, et je jouis en outre du plaisir d’un ami sincère en pensant que c’est l’ouvrage de votre grâce. » Et après la prise de Bouchain, qui avait vivement ému les esprits à Paris et à Londres, Bolingbrooke écrivait encore à Marlborough : « Le courrier m’apporte des nouvelles qui ajoutent à votre gloire et à votre bonheur. J’ai envoyé un exprès à Windsor avec la lettre de votre grâce pour la reine. J’ai donné ordre de tirer le canon de la Tour, et je vous prie de croire que je prends à ce succès toute la part qu’y doit prendre un honnête homme. »

Mais c’était pour le cabinet tory tenter l’impossible que de laisser la direction de la guerre au duc de Marlborough, alors que le gendre de ce dernier et son proche allié Godolphin avaient été écartés du ministère, et surtout après que la duchesse avait si bruyamment provoqué son renvoi de la cour. Et comment d’autre part éloigner un capitaine aussi illustre du commandement des armées ? C’était chose également difficile à l’égard des alliés et à l’égard du peuple britannique. Le cabinet tory fut donc, par la nécessité de se soutenir, amené à désirer la paix. — Il fallait une habileté consommée pour mener une telle partie à travers toute sorte d’écueils et de difficultés. L’homme habile se rencontra dans Henri Saint-John, lord vicomte Bolingbrooke ; mais le succès tenait à la passion de la