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cette dernière condition, le roi rompit encore les conférences (fin juin 1710), et se jeta de nouveau dans les bras de la nation, qui l’assista d’une inébranlable fidélité en cette crise extrême.

À ce moment venait de tomber en Angleterre le cabinet whig (25 juin 1710), où Marlborough comptait à la fois son gendre, le comte de Sunderland, et le comte de Godolphin, dont le fils avait épousé une autre fille de Marlborough, et un cabinet, tory succédait à ce ministère. C’est sur ce changement d’administration qu’on s’est fondé pour croire que dès 1710 le salut de la France était assuré, et que la victoire de Denain n’avait été que la parure du traité d’Utrecht. Un examen superficiel des faits et des documens a pu seul autoriser cette supposition. Ce qui est certain, c’est qu’on ne s’est pas douté en France en 1710 que le salut du pays fût désormais garanti. C’est après le remplacement de Sunderland par un tory que le roi rompait les conférences de Gertruydenberg. Le secret du changement ministériel était tout entier dans le désir qu’avait la reine Anne de se soustraire à la tyrannie intolérable que la duchesse de Marlborough exerçait sur elle à l’occasion d’une grande charge dont la duchesse était en possession à la cour. Le changement ministériel n’avait donc pour cause qu’une question de personnes, non une question de politique extérieure, et c’est dans ce sens que la reine faisait écrire au prince Eugène par le comte de Gallasch, ambassadeur de l’archiduc, reconnu roi d’Espagne, à Londres. « Je dois dire à votre altesse, écrivait ce diplomate, que la reine m’a envoyé ce matin le duc de Shrewsbury pour me faire dire en toute confiance qu’elle avait résolu d’ôter la charge de secrétaire d’état à milord Sunderland, et comme elle prévoyait que ce changement pourrait faire du bruit et être interprété comme une chose qui pourrait avoir de mauvaises suites à cause que ledit milord appartient si près au milord duc, elle me faisait en même temps prier d’assurer les deux cours, et en particulier votre altesse, que ce changement est purement personnel, et que la reine ne prétend nullement déroger par là à la grande amitié et considération qu’elle a et aura toujours pour milord duc, comme aussi qu’elle aura tout le soin imaginable d’avoir toujours tous les égards nécessaires pour-les conjonctures présentes et le bien de la chose commune. » Dans une autre lettre, le même diplomate disait à Eugène en parlant de la reine : « Votre altesse ne saurait croire quelle est son animosité. Je crois qu’elle laisserait périr dix Angleterres et les quatre parties du monde pour seulement mortifier milady Marlborough et tout ce qui lui appartient. »

Le carnet tory qui, dans les six derniers mois de 1710, remplaça le cabinet whig en Angleterre, avait été lui-même