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« Si c’était là aussi votre opinion, alors, nous vous en supplions, accordez-nous la demande que nous vous faisons, moi Maliétoa et tous les chefs mes confrères : enlevez d’ici ce consul tyrannique, qui depuis longtemps ne s’occupe plus de la charge pour laquelle il est venu aux Samoa, pour ne s’occuper que des moyens de détruire notre pouvoir, et si ce n’était notre crainte et le respect que nous portons au gouvernement qu’il représente, il y a longtemps que nous l’aurions mis à mort.

« En souhaitant à votre excellence beaucoup de prospérité, nous avons, etc.

« MALIETOA et les chefs au pouvoir devant Apia, etc. »


Lors même que l’exactitude des faits exposés dans ce singulier document ne nous eût été affirmée par toutes les personnes que nous rencontrions à Apia, il nous eût suffi pour la reconnaître de parcourir les rues de la ville. Le plus grave de ces faits, celui qui révèle le mieux la ligne de conduite suivie par le consul anglais, est certainement la construction, au centre de la ville européenne, du fort, dernier refuge des rebelles, — les ruines en étaient encore debout, et les guerriers qui l’avaient emporté d’assaut étaient encore campés autour de ces ruines. — Les traces des balles et des boulets se montraient partout, sur les troncs des grands arbres qui bordent la plage, sur la façade de l’église catholique, sur la maison même du consul anglais ; elles attestaient l’acharnement de la lutte dont le quartier européen avait été le théâtre, lutte dont les conséquences pouvaient être si fatales, quand on songe que l’armée victorieuse comptait des guerriers venus des plus lointains districts de Sevaï, ignorans des lois de la guerre, et que l’exaltation de la bataille, la surexcitation du triomphe pouvaient pousser aux plus sanglans excès. Ces dangers, la sagesse, la vigilante modération des chefs, les avaient prévenus.

L’arrivée successive de trois navires de guerre, la Mégère de la marine française, le Kearsage de la marine américaine, la Blanche de la marine anglaise, vint heureusement mettre un terme à cette situation périlleuse et donner une solution pacifique à cette lutte sanglante. Le commandant du Kearsage déclina toute intervention dans les affaires intérieures des Samoans. Appelé d’ailleurs aux Viti par de plus sérieux intérêts, il abrégea le plus possible sa relâche à Apia, et partit au bout de quarante-huit heures. Cette abstention fut néanmoins pour les chefs victorieux un premier sujet d’espoir. Elle leur prouvait que du moins tous les Européens ne pensent pas, n’agissent pas comme les consuls qui les représentent. Les seuls établissemens français de quelque importance à