Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/465

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

qui nous a mis dans une grande crainte ; c’est pourquoi nous nous sommes réunis en assemblée solennelle ; nous avons fait rapporter toutes les richesses qui avaient été pillées dans les susdites maisons, et nous les avons rendues à Williams en lui faisant un ifoga[1] soieraneï pour incliner son cœur à oublier cette offense.

« Tout cela n’a fait qu’augmenter la tyrannie de Williams à notre égard ; par trois fois nous nous sommes prosternés devant lui en ifoga, chaque fois il nous a repoussés. Par surcroît de malheur, voilà que pendant la nuit un jeune homme de Sevaï a la mauvaise idée de déchirer une espèce de petit pavillon anglais qui était sur une maison samoane. Quant à Williams, à sa famille, à ses domestiques, à son pavillon, ils ont été scrupuleusement respectés.

« Affligés de cet accident, nous avons renouvelé notre ifoga, car nous étions extrêmement effrayés des menaces que nous faisait Williams. Aussitôt il a écrit à tous les Européens de votre royaume pour leur enjoindre de mettre en berne tous leurs pavillons anglais, parce qu’on venait de couper la tête à la reine Victoria et de couper pareillement la tête au royaume d’Angleterre.

« Nous avons encore fait un nouvel ifoga, nous avons livré à Williams le jeune homme qui avait déchiré le pavillon, pensant par là adoucir sa colère ; mais encore cette fois nous avons été repousses ; il n’a rien voulu écouter. Alors nous lui avons offert en paiement de la faute un champ situé dans la province d’Atua et un autre dans la province d’Ana. Il n’a pas voulu les recevoir.

« Mais que veut-il donc enfin ? Une seule chose : la cession en sa faveur de Sevaï et d’Opoulou ; il n’y a que cela qui puisse arrêter sa colère, faire cesser ses menaces et mettre fin à sa tyrannie.

« Monsieur le ministre, que pense votre excellence d’une telle conduite ? Est-elle conforme à vos lois européennes ? Trouvez-vous convenable d’employer ainsi votre pavillon à nous dresser des pièges et à nous faire souffrir ? Convient-il à un consul que nous honorons du titre de chef de se mettre chez nous à la tête d’une armée de rebelles ? Remarquez-le bien, s’il vous plaît, puisqu’il était à la tête de nos ennemis, il a été vaincu comme eux ; mais il n’a pas pris la fuite. Au contraire il s’est retourné contre nous et a tout fait pour nous effrayer ; il a même essayé de nous imposer de fortes amendes. Est-ce donc le vaincu qui est le vainqueur ?

« Quoique nous soyons bien peu avancés en civilisation, une telle conduite chez nous nous paraît le résultat d’un pouvoir tyrannique, et qui n’a pour toute loi que l’arbitraire.

  1. L’ifoga, c’est le vaincu qui demande la vie au vainqueur, mais de la manière la plus humiliante pour l’orgueil samoan. Il est rare qu’un guerrier vaincu se soumette à cette humiliation.