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sur lesquelles hommes, femmes et enfans s’embarquent joyeux au grand chagrin des missionnaires, qui savent à quels excès de tout genre donnent lieu ces fêtes prolongées, où se réveillent les instincts brutaux mal assoupis de leurs néophytes. Cette crainte si légitime est-elle la seule ? Ces courses lointaines, ces assemblées ne maintiennent-elles point les traditions nationales ? N’est-ce pas également dans ces réunions où chacun apporte sa part de nouvelles que s’alimente cet esprit de résistance aux envahissemens des Européens, qui était jadis si puissant, et qui, un moment affaibli par la ferveur religieuse, semble aujourd’hui prendre de nouvelles forces ? Si tels sont la constitution politique de la société samoane et l’esprit qui anime chacun de ses membres, il est facile de comprendre que toute tentative d’un chef ambitieux pour y établir sa domination doit rencontrer une résistance générale. Nulle part cependant les dangers de la lutte n’effraient moins les esprits superbes que poussent l’ambition et la soif du pouvoir. De quel prétexte ne savent-ils pas ennoblir leurs entreprises, et même dans les districts où l’esprit d’indépendance est le plus développé, combien d’auxiliaires ne trouvent-ils pas ?

Quoi qu’il en soit, une tentative de ce genre, tentative avortée du reste, venait, depuis un an, d’agiter profondément l’archipel, et, bien que la lutte fût terminée par la défaite du chef qui l’avait provoquée, nul ne pouvait en prévoir les conséquences dernières. De graves incidens s’étaient produits, suscités, disait-on, par le consul anglais, hostile au parti victorieux et dévoué au parti vaincu. Le pavillon de la reine, prétendait-il, avait été insulté, et il refusait toutes les satisfactions qui lui avaient été offertes pour cette insulte, que la soumission des Samoa, l’abdication de leur indépendance, pouvaient seules faire pardonner. Sur ces bruits, grossis par les passions, par les rivalités politiques, aussi ardentes sur les plus petits que sur les plus grands théâtres, quelle était la vérité, ou du moins quels étaient les faits qui les avaient fait naître ?

Parmi les jeunes gens élevés au collège des missionnaires indépendans se trouvait un jeune homme intelligent et actif nommé Laupapa, de la famille des Maliétoa et neveu du chef de ce nom, vieillard depuis longtemps élu tui du Tuamasaga. Chez les Samoans, comme chez beaucoup de peuples primitifs, l’ordre de succession n’est pas du père au fils, mais du frère au frère, jusqu’à ce que, la première série étant épuisée, le fils du frère aîné devienne à son tour le chef de la famille. Le vieux Maliétoa avait un frère ; rien dès lors ne pouvait désigner Laupapa comme son futur successeur. Cependant le jeune chef quittait a peiné le collège que M. Williams l’adoptait pour son fils, en même temps qu’il lui faisait adopter pour fille une de ses propres enfans : double lien qui dans les mœurs