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de M. Williams malgré lui, il subit celle de M. Weber, dont le monopole commercial pourrait nuire au succès de ses affaires. M. Williams, M. Weber et M. Coë sont les seuls consuls accrédités à Apia. Seuls, ils représentent donc l’Europe et les états de l’Amérique du Nord, et ils les représentent sans contrôle vis-à-vis d’une population qui, depuis sa conversion au christianisme, semble avoir abjuré avec ses vieilles superstitions l’esprit d’énergique résistance dont plus d’une fois elle fit preuve envers les étrangers. Les impressions qu’éveillent les noms de Baie des Assassins, Baie du Massacre, donnés par les premiers navigateurs et encore portés sur les cartes, ne se rattachent à présent qu’au souvenir d’un passé sans retour. Un Européen peut, sans armes et sans escorte, parcourir Opoulou ; il n’a aujourd’hui aucun danger à redouter. La race si fière des Samoa n’a pas disparu, ses guerriers montrent encore dans leurs luttes intestines la même ardeur belliqueuse, la même sauvage énergie ; mais les plus audacieux d’entre leurs chefs tremblent au nom de l’Europe, et les esprits les plus emportés fléchissent devant les exigences d’un consul. Il était donc nécessaire de peindre le caractère de ces représentans de l’Europe, si influens dans ces îles. Cette influence et le but auquel quelques-uns d’entre eux semblent la faire servir peuvent seuls expliquer en effet les événemens dont Apia venait d’être le théâtre au moment de notre arrivée. Un exposé rapide de ces événemens fera comprendre la situation réelle de ces populations ; mais avant d’aborder ce récit quelques détails statistiques et géographiques sont nécessaires pour qu’on puisse saisir l’enchaînement des faits avec les causes toutes morales dont ils procèdent.

L’archipel des Samoa, situé par le 19e degré de latitude sud, les 174e et 177e de longitude occidentale du méridien de Paris, se compose des trois grandes îles de Tutuïta, Opoulou et Sevaï, auxquelles il faut joindre plusieurs îles de moindre étendue, mais qui jouent un certain rôle politique, comme Manomo, entre Sévaï et Opoulou, et Manua à l’est. La population indigène, que Lapérouse portait au chiffre, évidemment exagéré, de 80,000 âmes, mais que Dumont-d’Urville n’estimait en 1838, d’après les indications du pilote anglais Fraser, qu’à 36,000 âmes, s’élève, selon le dernier recensement, fait avec la plus grande exactitude par les soins des missionnaires, à 33,000 habitans.. Ce dernier chiffre, rapproché de l’estimation de Dumont-d’Urville, prouverait que la population, bien qu’en décroissance, n’a subi qu’une légère diminution dans une période de trente années malgré les changemens qui se sont opérés dans ses mœurs. Elle offre ces spécimens magnifiques de la race maorie, dont Lapérouse disait si justement : « Ces insulaires sont les plus grands et les mieux faits de toute l’Océanie que nous