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athlétiques armés de lances et de casse-tête, sillonnant la rade au chant cadencé de leurs pagayeurs, nous rappellent la race indigène des Samoa, telle sans doute qu’elle était apparue aux premiers Européens qui donnèrent à ces îles le nom d’archipel des Navigateurs.

Néanmoins, malgré l’étrangeté de ce spectacle, ce fut moins l’ensemble que l’un de ses aspects particuliers qui éveilla notre première attention : les grands navires au milieu desquels le Flying-Cloud venait de mouiller, magnifiques clippers de 1,800 tonneaux, appartenaient tous à la même nation. Aux mâts flottait le pavillon presque inconnu de la confédération de l’Allemagne du nord. Seule, une humble goélette avait hissé, pour saluer notre venue, le pavillon anglais. À terre, même contraste. Les couleurs anglaises, américaines, se déployaient sur des maisons isolées, tandis qu’à l’extrémité d’un long wharf et sur une hampe semblable au mât d’un grand navire, le pavillon blanc écartelé de l’aigle noir de Prusse des consuls de la nouvelle confédération dominait sur de vastes constructions : maisons d’habitation, magasins, chantiers, occupant presque toute la partie occidentale de la ville, depuis l’école des missionnaires catholiques jusqu’au village de Malinuu.

Le côté particulier de ce spectacle qui excitait notre surprise nous faisait pénétrer au cœur même de cette situation, et en précisait le détail le plus essentiel. La réalité répond en effet aux suppositions qui en ce moment se présentaient à notre esprit ; il suffit de les commenter rapidement pour donner une idée réelle des influences rivales qui s’agitent à Apia et dans l’archipel, pour faire connaître son état présent et peut-être aussi l’avenir qui lui est réservé.

La maison Godefroy de Hambourg, dont le chef, d’origine française, appartient à une famille de réformés chassés par l’édit de Nantes, est une des maisons commerciales les plus importantes de cette grande cité maritime, jadis souveraine, mais qui fait aujourd’hui partie de la confédération du nord. Le commerce de l’huile de coco forme une des branches principales des affaires de cette maison, et c’est sur la plus vaste échelle que ce commerce est organisé dans cette partie de l’Océanie. Chaque année, six grands navires, tels que ceux qui se trouvaient alors à Apia, partent d’Europe pour ce dernier port. Les uns effectuent directement le voyage, chargés de marchandises d’échange : toiles, cotonnades, étoffes de laine, armes de guerre, poudre, ustensiles de toute sorte ; les autres touchent à Sidney, où ils déposent de nombreux passagers, familles d’émigrans que l’Allemagne essaime dans le monde entier. De Sidney, ces navires se rendent à Apia avec un chargement de charbon de terre et le plus souvent sur lest. Tous emportent en Europe une cargaison complète d’huile de coco, ou mieux d’amandes de coco séchées au soleil : exportation considérable à laquelle les