Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/393

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
ESSAIS ET NOTICES.

Études sur la maladie des vers à soie, par M. L. Pasteur, membre de l’Institut. 2 vol. in-8o ; Paris, Gauthier-Villars.


Il y a cinq ans, le sénat eut à délibérer sur une pétition signée par plus de trois mille propriétaires des départemens séricoles, qui appelaient la sollicitude du gouvernement sur les désastres causés par l’épizootie des vers à soie. Ce fléau désolait alors le midi de la France depuis plus de douze ans, et la misère grandissait en dépit de toutes les tentatives qu’on faisait pour l’arrêter. Dans les montagnes des Cévennes, les changemens les plus tristes s’étaient opérés en peu de temps. « Jadis, écrivait un savant éducateur, on voyait sur le penchant des collines des hommes agiles et robustes briser le roc, établir avec ses débris des murs solidement construits qui devaient supporter une terre fertile, mais péniblement préparée, et élever ainsi jusqu’au sommet des monts des gradins plantés en mûriers. Ces hommes, malgré les fatigues d’un rude travail, étaient alors contens et heureux, car l’aisance régnait à leurs foyers. Aujourd’hui les plantations sont entièrement délaissées, l’arbre d’or n’enrichit plus le pays, et ces visages, autrefois radieux, sont maintenant mornes et tristes. »

L’étendue de la misère causée par ce revirement de la fortune peut se mesurer à l’importance de la branche d’industrie que constitue en France la sériculture. C’est au XIIIe siècle que l’on a commencé à cultiver le mûrier et à élever le ver à soie dans la Provence et le Languedoc. Au temps de Louis XIV, la récolte des cocons n’atteignait encore que 100,000 kilogrammes par an ; vers 1788, elle s’élevait à 6 millions de kilogrammes. En 1853, le chiffre officiel était de 26 millions de kilogrammes, lesquels, comptés à 5 francs le kilogramme, représentaient un revenu de 130 millions de francs. À cette époque, la France entrait pour un neuvième dans la production de la soie sur le globe entier. Si la progression observée dans la première moitié de ce siècle eût continué, le produit annuel de la sériculture se serait déjà élevé à 50 millions de kilogrammes ou 300 millions de francs ; par malheur, tout cet essor est tombé, toute cette prospérité a disparu devant l’invasion du terrible fléau. Après la récolte abondante de 1858, la production française s’est abaissée peu à peu jusqu’à 4 millions de kilogrammes et les pertes se chiffrent par centaines de millions.