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noble ; il ne voit, que le salaire qui est plus élevé, et il espère qu’après avoir prélevé ce qui lui sera, nécessaire, il pourra, avec le surplus, venir en aide à sa famille, et se créer des ressources pour la vieillesse. Ce n’est le plus souvent qu’une généreuse illusion » qu’il regrettera plus tard lorsqu’il ne sera plus temps ; un travail journalier certain et un salaire élevé, voilà ce qu’il recherche, et ce n’est qu’en les lui assurant que l’agriculture pourra attirer à elle, ceux qui l’ont abandonnée, ou du moins conserver ceux qui lui restent, encore. » La misère des paysans, comme la gêne des fermiers, vient donc, surtout, de ce que, sauf des exceptions brillantes, on cultive encore la terre en France comme on la cultivait il y a trente ans, cinquante, ans, cent ans même. Il faut que l’agriculture suive l’exemple que lui ont donné, les autres industries, qu’elle puisse accueillir les réclamations légitimes de ceux qu’elle emploie, et faire face sans se ruiner à une élévation indispensable des salaires. — Enfin contre la dépravation des consciences, que corrigeront déjà les clartés de l’instruction et la douceur d’une vie plus heureuse, nous recommanderons à ceux dont l’influence peut avoir des effets excellens ou funestes, de veiller davantage sur leurs paroles et sur leurs actes. Ce n’est pas tout, une autre mission réparatrice doit échoir aussi aux assemblées républicaines, qui sauront sans doute apporter dans la révision des, lois une prudente hardiesse. Il est nécessaire en effet que beaucoup de lois soient modifiées. La politique des paysans se résume en ce mot : « Nous voulons la justice. » Or la justice n’existe pas toujours dans notre législation. Pour n’en citer qu’un seul exemple, vous ne ferez jamais comprendre, à la masse des citoyens que le remplacement. Militaire se concilie avec ces grands principes d’égalité et de fraternité qui sont inscrits depuis quatre-vingts ans au frontispice des constitutions. Que les privilégiés du XIXe siècle puissent, au moyen d’espèces sonnantes, s’affranchir de l’impôt du sang, cela n’a-t-il pas quelque analogie avec les mœurs des temps barbares et de la féodalité naissante, alors qu’un meurtrier savait exactement à combien de sous d’or serait évaluée la vie de sa victime ? Nous aurions, sur l’ensemble des lois françaises, bien d’autres critiques à faire ; mais ce n’est pas le moment d’insister. Bornons-nous, pour conclure, à souhaiter que le temps vienne vite où régneront dans notre pays l’ordre, la liberté, la lumière, la paix. Et si ces vœux sont exaucés, comme c’est notre ardent espoir, nous regretterons moins les dures mais salutaires épreuves qui nous sont maintenant infligées.


EUGENE LIEBERT.