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sont ouvertes, les anciennes se sont agrandies et ont été plus fréquentées qu’autrefois. Les résultats ont-ils été aussi heureux que le disent les statistiques ? On peut le croire et admettre les chiffres qu’on a donnés comme véritables ; mais d’après ces chiffres mêmes, la France, au point de vue de l’instruction primaire, est encore fort au-dessous des autres peuples, et particulièrement de celui qui est aujourd’hui notre ennemi. Ce n’est pas là d’ailleurs ce que nous cherchons. Encore une fois, il est possible que les deux tiers de nos jeunes garçons sortent de l’école, à douze ans, sachant à peu près lire et écrire. Qu’on le remarque bien, ils n’y ont jamais appris rien de plus. Pour apprécier la science des écoliers, il faut juger celle des maîtres ; or le programme d’examen pour le brevet d’instituteur primaire comprend les matières que voici : lecture, écriture, calcul, système métrique, histoire sainte, plain-chant, et tout se borne là. Un tel programme est-il celui qui convient à l’instruction élémentaire d’un pays dont chaque citoyen, exerçant directement et sans appel les droits de la souveraineté nationale, élit ses mandataires depuis le conseiller municipal jusqu’au chef du pouvoir exécutif ? Au surplus, ce n’est pas là ce que nous voulons examiner, et notre thèse est celle-ci : en vain l’on bâtira des écoles publiques, en vain l’on y entretiendra des maîtres pour l’enfance des campagnes, tout cela ne sera qu’un leurre, si l’on ne change radicalement nos lois sur l’imprimerie, sur la librairie, sur le colportage et sur la presse, lois qui semblent avoir été faites pour rétrécir l’instruction.

Le gouvernement provisoire vient d’accomplir enfin cette première réforme. Puisse-t-elle être durable, car elle intéresse l’avenir du pays. Jusqu’à présent, la fabrication, la vente et la circulation du livre ont été mises chez nous en interdit. On n’a pas voulu que le livre pût pénétrer dans les campagnes, on y a réussi ; on en a fait une denrée rare et chère qu’il fallait aller chercher, souvent à plusieurs lieues, dans la ville prochaine, jusque dans la boutique du vendeur privilégié. Et l’on prétendait répandre à flots les bienfaits de l’instruction parce que nos jeunes paysans avaient épelé pendant quelques mois les abécédaires ! Autant aurait valu rayer du budget les sommes affectées à l’entretien de ces écoles où étaient enseignés les rudimens d’une science dont il était interdit de se servir, qu’il était presque ordonné d’oublier. Sait-on pourquoi l’Angleterre, la Belgique, la Hollande, les républiques américaines, sont peuplées de citoyens plus éclairés cent fois que les hommes de notre pays ? sait-on pourquoi des scènes de sauvagerie semblables à celles que nous avons déplorées ne s’y produisent point et ne sauraient s’y produire ? sait-on où est le secret de la supériorité de ces nations ? C’est que dès longtemps la presse y est libre, c’est que le livre et le journal s’y impriment sans obstacle, passent dans toutes les mains, s’achètent chez qui veut les vendre. En France, l’enfant de douze ans qui sort de l’école