Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/377

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

honneur et dans sa dignité. Veut-on la paix, a-t-on voulu seulement se prémunir contre les pensées de conquête dont on supposait le dernier gouvernement animé, qu’on le dise ; cette paix est possible, les conquêtes ne sont plus de saison, et nous persistons à croire que, même sous le dernier gouvernement, même en cas de victoire, l’opinion aurait été assez puissante pour arrêter toute velléité de ce genre, tant elle était peu portée à des conquêtes au détriment des droits des autres peuples. Veut-on pousser la France à bout en la menaçant d’une de ces atteintes qui ne se pardonnent pas, soit ; mais alors c’est la guerre à outrance, la lutte désespérée pour la nationalité, une déclaration de haine entre deux races, et ceux qui, dans une bouffée d’orgueil et d’ambition, auront voulu pousser cet implacable duel jusqu’au bout en porteront éternellement la responsabilité devant Dieu et devant le monde, M. Jules Favre a raison de le dire dans un mouvement de saisissante éloquence.

Lorsque le roi Guillaume de Prusse entrait en France, il y a déjà plus d’un mois, conduit par la fortune des combats, il déclarait avec une certaine ostentation qu’il venait faire la guerre à l’empereur, non à la nation française avec laquelle la nation allemande désirait vivre en paix. Depuis cet instant, le prince royal a parlé à peu près dans le même sens à Nancy. Eh bien ! l’empereur est dans les mains du roi de Prusse, la France ne songe vraiment ni à le racheter ni à le disputer aux Allemands. Voilà, ce nous semble, le moment de savoir ce qu’il y avait de vrai dans ces déclarations de désintéressement par lesquelles on ouvrait la guerre, et que M. Jules Favre invoque aujourd’hui dans son manifeste. Voilà bien l’heure favorable pour jeter entre les deux peuples une parole de concorde et de paix.

Malheureusement on n’en est pas là, et M. Jules Favre lui-même sans doute n’en est pas à se méprendre sur la valeur de ces protestations pacifiques avant la victoire. La Prusse, n’a pas coutume de se nourrir de pure gloire, et jusqu’ici elle n’a pas donné l’exemple de ces coups de théâtre de magnanime modération. Ce qu’elle a dit il y a six semaines était bon pour la circonstance ; ce qu’elle poursuit aujourd’hui, c’est le rêve d’un orgueil exalté par la victoire. Elle se flatte de venir chercher la paix à Paris, vaincu par les armes ; elle veut enlever à la France la Lorraine et l’Alsace, dont la possession rentre évidemment tout à fait dans le programme de la mission historique de l’Allemagne. C’est fort bien, la force a ses ivresses ; tant qu’elle ne rencontre pas l’obstacle qui doit l’arrêter, elle croit que tout lui est permis. La Prusse dira qu’elle est victorieuse, que rien jusqu’ici n’a pu résister à ses armes, et qu’elle a bien le droit de réclamer le prix de ses victoires. Mon Dieu ! l’empereur Napoléon Ier était, lui aussi, victorieux lorsqu’il abattait d’un seul coup la Prusse à Iéna et qu’il dépeçait ses provinces. L’empereur Napoléon a disparu, et la Prusse, si démembrée qu’elle fût, ne s’est pas