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salut public qui exerce une dictature allant jusqu’à l’incarcération des citoyens — et un préfet, esprit élevé et sérieux, M. Challemel-Lacour, qui serait certainement aujourd’hui le meilleur guide des populations. Rien ne serait plus propre à paralyser le mouvement patriotique des esprits, si cela devait continuer. Le gouvernement, nous en sommes convaincus, est le premier à le sentir. Bien des mesures qu’il a prises portent la marque d’un véritable esprit de modération et de prévoyance, d’une réelle droiture politique. La dictature que les circonstances ont jetée dans ses mains, il l’exerce avec un sentiment élevé de sa responsabilité, avec une visible préoccupation de tous les intérêts supérieurs. Il comprend qu’il ne peut rien que par le concours de tous, par l’assentiment moral des populations, et le gage le plus significatif qu’il ait pu donner de sa déférence pour la volonté du pays, c’est le décret par lequel il en appelle au suffrage universel en fixant au 16 octobre l’élection d’une nouvelle assemblée constituante. Que se passera-t-il d’ici au 16 octobre ? les élections seront-elles possibles partout ? N’importe, c’est le pays appelé dès ce moment à se prononcer sur ses intérêts les plus vitaux, sur ses destinées si éprouvées. C’est un de ces actes, une de ces manifestations, si l’on veut, qui caractérisent la politique du gouvernement à l’intérieur, et en même temps, il ne faut pas s’y tromper, c’est pour lui une force de plus dans son action à l’extérieur, dans son attitude vis-à-vis de l’Europe et du monde.

Ce que le gouvernement veut être au dedans, le décret sur les élections le dit donc avec clarté et avec honnêteté ; c’est un gouvernement d’union et de défense nationale, réservant la juridiction souveraine du pays appelé à se constituer lui-même. Ce qu’il veut être diplomatiquement, M. Jules Favre l’a dit, il y a quelques jours, dans une circulaire qui est un vrai manifeste d’une ferme et droite élévation. Sans doute il y a pour un pays d’étroites et indéclinables solidarités entre les gouvernemens qui se succèdent. C’est l’empire qui a créé la situation actuelle, c’est le nouveau gouvernement qui recueille cette situation et qui est bien obligé d’en porter le poids jusqu’au bout. Il n’est pas moins vrai que les circonstances ont changé singulièrement. La France aujourd’hui, après la révolution qui s’est accomplie le 4 septembre, la France est entrée dans une voie nouvelle, et celui qui a cru exprimer la pensée intime de son pays en s’efforçant de détourner la guerre avant qu’elle n’eût éclaté, M. Jules Favre, n’a eu ni à se désavouer lui-même, ni à s’abaisser en déclarant que la paix est le vœu de la France. Seulement il est bien clair que cette paix, dont on avoue tout haut la pensée devant le monde, n’est possible qu’à des conditions honorables et équitables que M. Jules Favre au reste a résumées en deux mots : pas un fragment de notre territoire, pas une pierre de nos forteresses. — Il faut que la France sorte intacte de l’épreuve effroyable où elle est engagée, intacte dans son