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rément notre armée qu’il faut accuser, elle s’est presque toujours battue un contre trois et quelquefois un contre cinq, elle a été stoïque, cette armée, jusque dans ses plus pénibles détresses, même en ayant l’instinct des fausses combinaisons, des imprévoyances dont elle était la victime, et, lorsqu’elle s’est sentie sous une main vaillante comme celle du maréchal Bazaine, lorsqu’elle a pu marcher avec confiance, elle a bien montré qu’elle ne capitulait pas. Ce qu’il y a de caractéristique dans cette catastrophe de Sedan, c’est qu’elle apparaît comme le couronnement sinistre de toute une phase de la guerre ; elle est comme la continuation et le dénoûment des mêmes fautes, des mêmes procédés conduisant à des désastres qui vont en grandissant.

Suivez du regard cette courte campagne qui recommence à Châlons pour se terminer à Sedan, vous y retrouverez encore une fois tout ce qui a signalé ces tristes débuts d’une lutte gigantesque, les surprises incessantes, les vices d’organisation, les incertitudes de direction, les commandemens de faveur obstinément maintenus. Rien n’est changé, on va comme si l’on n’avait pas reçu les plus dures leçons, on n’en fait ni plus ni moins. Qui commande réellement ? est-ce le maréchal Mac-Mahon, est-ce l’empereur ? On ne le distingue pas, tant le malheureux maréchal subit visiblement des influences dont il est la première victime. Ce n’est pas une organisation, c’est le désarroi éclatant sous toutes formes, dans les mouvemens militaires aussi bien que dans l’action administrative ; mais ce ne sont là que des détails, il faut évidemment remonter plus haut. La vérité est que cette guerre de 1870, où l’on s’est étourdiment engagé, n’est que la grande et redoutable liquidation d’un système politique qui a eu pour effet d’émousser en quelque sorte tous les ressorts de l’organisme français, à commencer par l’armée elle-même, d’infiltrer l’incurie et l’esprit de gaspillage dans nos affaires. L’action a été lente, inaperçue, elle n’a pas été moins terrible. Au lieu d’entretenir parmi nos officiers une émulation virile, le goût d’une instruction sérieuse, on a développé des habitudes de frivolité et de favoritisme. On a voulu des dévoûmens complaisans, non des services rendus au pays. On a fait des expériences et modifié des uniformes ; on a tout sacrifié à l’apparence, aux dehors, au faste, sans songer à ce qui pouvait assurer une bonne et forte constitution de notre armée. En tout, on a négligé l’essentiel et le solide. Il y a trois ans à peine, lors de la dernière exposition, on donnait une médaille à une carte d’état-major, fort belle en effet, mais que les Prussiens connaissent mieux que nous, que nos généraux n’étudient même pas, puisqu’ils en font si peu d’usage, puisqu’ils ont l’air si peu familiers avec le terrain sur lequel ils opèrent. Pendant longtemps, on était satisfait et suffisamment flatté, pourvu qu’on pût ouvrir les portes de nos établissemens à tous les officiers étrangers. Nous ne serions pas étonnés que le général