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de ces contradictions, que l’armée française, au lieu de s’avancer sur Metz, s’est trouvée arrêtée entre Sedan et Montmédy, et là s’est accomplie la tragédie funèbre. Pendant trois jours, on s’est battu. Tandis que Bazaine essayait vainement de se frayer un chemin de son côté, Mac-Mahon avait affaire aux Saxons, aux Bavarois, aux Prussiens du prince Frédéric-Charles, puis en définitive au prince royal lui-même, dont les têtes de colonnes étaient déjà en Champagne, et qui s’était replié en toute hâte aussitôt qu’il avait appris le mouvement de l’armée de Châlons. Le premier jour, les divisions du général de Failly se laissaient surprendre encore une fois, et se voyaient culbutées avant de pouvoir faire face à l’ennemi ; le second jour, l’avantage semblait nous rester, on avait regagné du terrain ; le troisième jour, l’armée française, déjà exténuée par les précédens combats, se trouvait encore aux prises avec les masses prussiennes augmentées des forces du prince royal, et après une lutte acharnée de douze heures elle se rejetait confusément dans la place de Sedan, sans s’apercevoir qu’elle allait d’elle-même s’enfermer dans une prison d’où elle ne pourrait plus sortir.

Pendant la nuit en effet, le cercle de fer se rétrécissait autour de Sedan, l’artillerie prussienne couvrait les hauteurs environnantes. Dans la ville, il n’y avait ni munitions ni vivres ; l’armée, désorganisée et démoralisée, était hors d’état de combattre. Le maréchal Mac-Mahon avait été blessé dès les premières heures du troisième jour, et le général de Wimpfen, arrivé à peine de la veille, se trouvait investi à l’improviste du commandement supérieur au milieu d’une déroute. Que faire en cette extrémité ? S’ouvrir un passage à tout prix, dût-on y périr jusqu’au dernier : on en eut l’idée, il fallut y renoncer ; il ne se trouva que 2,000 hommes de bonne volonté pour tenter l’aventure. Attendre la destruction dans des murs sans défense possible, c’était se résigner à un massacre inutile. Capituler, les chefs militaires ou du moins quelques-uns résistaient jusqu’au dernier moment à cette cruelle pensée ; mais déjà toute délibération était parfaitement superflue, puisque l’empereur, qui était, lui aussi, à Sedan, venait de rendre son épée au roi de Prusse, et écrivait au général de Wimpfen pour lui faire un devoir de rester à son poste, de ménager à ses troupes une « capitulation honorable ! » Cette « capitulation honorable, » c’était la reddition de 40,000 hommes pour ne pas dire plus, de 400 pièces de canon, de tout un matériel. Voilà ce qui restait de la grande opération tentée pour aller au secours du maréchal Bazaine : un empereur fugitif ou plutôt prisonnier, allant faire la conversation avec le roi Guillaume et M. de Bismarck avant de partir pour un château près de Cassel, une armée tout entière prise d’un coup de filet, et le grand fait moral d’une capitulation sans précédent, qui semble résumer toutes les tristes fatalités de la guerre, telle qu’elle avait été conduite jusqu’ici ! Ce n’est point assu-