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susceptible d’oublier ce qui avait été précédemment convenu. Quand on traite avec eux, ce n’est pas assez de s’informer s’ils ont des pouvoirs suffisans, il est nécessaire aussi de savoir s’ils sont soutenus dans leur pays par le parti politique dominant.

Mais enfin qu’adviendra-t-il de cet interminable conflit entre la Grande-Bretagne et les États-Unis ? Malgré la rudesse diplomatique des hommes d’état américains, nous avons peine à croire qu’ils envisageraient sans terreur la perspective d’une lutte, et surtout d’une lutte contre un peuple qui parle la même langue qu’eux, qui a les mêmes tendances, les mêmes mœurs. Ce n’est pas au lendemain d’une guerre épouvantable que l’on court de nouveau la chance des armes, quand on est une nation industrieuse et commerçante. En ce qui concerne la question des frontières de l’Oregon, il semblerait que les Américains comptent avec complaisance sur une solution pacifique par le motif que voici : l’île de Vancouver et la Colombie britannique sont des colonies lointaines auxquelles la Grande-Bretagne n’accorde qu’une médiocre importance ; trop éloignées de la mère-patrie pour que l’immigration européenne soit en état de les peupler, elles sont au contraire facilement envahies par les hardis pionniers des États-Unis. On croit à Washington, peut-être avec quelque illusion, que l’annexion future de ces provinces est inévitable, et qu’il n’y a pas lieu par conséquent de se préoccuper d’une rectification de frontière que les événements rendront inutile.

Quant aux démêlés qui ont pour objet spécial les faits survenus pendant la guerre de sécession, c’est une autre affaire à notre avis. L’opinion persiste aux États-Unis à prêter au gouvernement britannique des torts qu’une appréciation plus mûre fera s’évanouir assurément. Cela est vrai surtout des prétendus griefs qui se fondent sur la reconnaissance intempestive de l’état de guerre entre les insurgés et les états fidèles. D’autre part, il nous semble incontestable, malgré les savans raisonnements de M. Mountague Bernard, que l’Union est en droit de se plaindre que les confédérés aient trouvé dans les ports anglais la flotte qui leur faisait défaut, Sur quelles bases la conciliation est-elle possible ? C’est ce que nous n’oserions dire ; mais il y a lieu d’espérer qu’il sortira de ce long débat, comme le réclament les Américains, quelques dispositions nouvelles à introduire dans le code international. À ce point de vue, la mésintelligence actuelle des deux puissances anglo-saxonnes n’aurait pas été sans utilité pour les autres nations, puisqu’il en résulterait quelques adoucissemens au fléau de la guerre.


H. BLERZY.