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mirent leurs canons en batterie. Elles y sont encore, et depuis onze ans elles vivent côte à côte, toujours en alerte, s’observant mutuellement sans avoir échangé un coup de fusil ! Le cabinet de Washington sentait sans doute qu’il avait été mis dans une mauvaise position par l’acte inconsidéré du général Harney ; mais il n’a pas osé le désavouer. Par amour-propre national, il lui répugne d’avoir l’air d’abandonner la moindre parcelle du continent américain, après en avoir une fois pris possession.

Les événemens de la guerre de sécession avaient relégué cette petite affaire au dernier plan. La paix venue, on voulut s’en occuper en même temps que des autres questions pendantes entre les États-Unis et la Grande-Bretagne. Nous avons dit plus haut comment une première tentative de conciliation ne put aboutir à aucun résultat. Vers la fin de 1868 arrivait à Londres un nouvel ambassadeur américain, M. Reverdy Johnson, homme aimable et expansif, qui aimait à se produire en public, et se présentait volontiers dans les banquets et autres cérémonies officielles comme l’apôtre de la concorde. En même temps qu’il provoquait des manifestations publiques, favorables à coup sûr au rétablissement de l’entente cordiale entre les deux nations sœurs, M. Reverdy Johnson discutait d’une façon plus discrète avec lord Stanley les bases d’une solution diplomatique. Ses instructions portaient qu’il s’occuperait avant tout de régler les questions relatives à la naturalisation des sujets anglais en Amérique, questions, dont nous n’avons pas à nous occuper ici, et qui furent en effet résolues à bref délai. Ce premier point éclairci, il avait ordre de s’occuper des réclamations faites par des citoyens américains au sujet des captures de l’Alabama (Alabama claims) et de l’occupation de San-Juan. D’accord avec M. Seward, il avait insinué au chef du foreign office qu’un moyen commode de s’entendre serait que l’Angleterre consentît à céder aux États-Unis une portion de son territoire colonial. Lord Stanley paraît avoir écarté cette suggestion sans manifester de surprise ni d’indignation, mais aussi sans hésiter. Alors M. Johnson proposa de confier le règlement des matières en discussion à quatre commissaires, deux Anglais et deux Américains. Lord Stanley eût préféré prendre pour arbitre le souverain d’une puissance alliée ; cependant il accepta la proposition de l’ambassadeur américain sous la réserve expresse, maintes fois exprimée déjà, que le comité arbitral n’aurait pas le droit d’examiner si la Grande-Bretagne avait eu tort ou raison d’accorder aux rebelles la qualité de belligérans dès le début de la guerre. La convention conclue sur cette base entre lord Stanley et M. Johnson fut expédiée en 1869 à Washington pour y recevoir la ratification du gouvernement américain. Soumise au sénat par le président Grant, qui