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compter au rang des peuples indépendans. Il est incontestable que les États-Unis durent en ressentir une irritation profonde. Les corsaires confédérés étaient anglais par leur origine, anglais par leur armement, anglais par la majeure partie de leurs équipages. Le peuple anglais est-il responsable des dommages qu’ils ont infligés à la marine américaine ? M. Mountague Bernard soutient la négative ; c’est en quoi nous ne pouvons être tout à fait d’accord avec lui. Tout en prétendant que le gouvernement britannique n’avait rien négligé de ce qui était en son pouvoir pour assurer l’exécution des lois, lord Russell convenait, dans une dépêche adressée à lord Lyons le 27 mars 1863, que les affaires de l’Alabama et de l’Oreto étaient un scandale et à un certain degré une preuve de l’insuffisance des lois anglaises. Que conclure de cet aveu, si ce n’est la nécessité de réparer dans une certaine mesure les dommages subis par les Américains ?

Peut-être la justification du gouvernement britannique surgira-t-elle plutôt des plaintes amères que lui adressait M. Jefferson Davis par des motifs tout différens. « La partialité du ministère anglais, disait le président des états confédérés, apparaît avec évidence dans la façon dont il accueille les achats d’armes des deux belligérans. Dès le 1er mai 1861, l’ambassadeur de la Grande-Bretagne à Washington recevait du secrétaire d’état l’avis que des agens de l’Union viendraient en Angleterre et en France y acheter des armes ; cet avis fut communiqué au foreign office, qui ne souleva nulle objection. Cependant au mois d’octobre de la même année, lord Russell recevait les réclamations du ministre des États-Unis à Londres à propos de la contrebande de guerre introduite dans le port de Nassau ; il faisait faire une enquête sur ce sujet, et, après s’être assuré que le fait allégué était faux, il s’indignait que l’on eût soupçonné les autorités coloniales de Nassau d’un acte si coupable. Au contraire, quand le gouvernement confédéré voulut acheter en Angleterre, pays neutre, des navires qui auraient reçu leur armement en dehors des eaux britanniques, ces navires furent saisis ou tout au moins ils furent menacés d’être saisis, au moment même où l’on expédiait à New-York de pleines cargaisons d’armes de guerre. » Évidemment M. Jefferson Davis se trompe. Il était licite de se livrer, sous les risques de capture, au commerce de la contrebande de guerre, parce que ce commerce n’avait rien de contraire aux lois de la Grande-Bretagne, tandis qu’il était illicite de faire des arméniens et des enrôlemens prohibés par le foreign enlistment act.