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ne manquait pas d’hommes de bonne volonté disposés à s’engager dans cette carrière d’aventures. Ce qui faisait le plus défaut, c’étaient des navires propres à faire la course. Aussi le gouvernement confédéré envoya-t-il en Europe, pendant l’hiver de 1861 à 1862, deux officiers avec la mission confidentielle d’acheter des bateaux à vapeur et au besoin d’en faire construire. Le capitaine Bullock, le plus connu de ces deux officiers, était originaire de la Géorgie, ancien officier de la marine de l’Union, et plus tard commandant d’un paquebot-poste. Il s’établit près de Liverpool et s’occupa sans bruit de la mission qui lui était confiée.

De son côté, le gouvernement fédéral avait à Liverpool un consul, M. Dudley, homme intelligent et zélé, qui surveillait les démarches des confédérés. Au mois de juin 1862, M. Dudley écrivit à M. Adams, ministre d’Amérique à Londres, qu’il y avait en construction dans les chantiers de MM. Laird et Cie, à Birkenhead, près de Liverpool, une canonnière que l’on supposait être destinée à devenir un corsaire du sud. Personne n’était admis à la visiter, sauf les gens connus pour être dévoués aux rebelles. Divers renseignemens portaient à croire que c’était un navire de guerre percé pour onze canons et construit avec tout le soin possible. Si on le laisse partir, ajoutait M. Dudley, il causera les plus grands maux au commerce américain. Sur ce, le ministère anglais prescrivit aux officiers de la douane de Liverpool de visiter le navire dont il était question. C’était bien en effet un bâtiment de guerre, les constructeurs ne le niaient pas ; mais ils déclaraient aussi qu’il était vendu à un gouvernement étranger dont il leur était interdit de dire le nom. Les commissaires des douanes soutenaient qu’en l’absence de toute preuve ils n’avaient aucun droit de saisir ce navire sur une simple présomption du consul américain, et ils demandaient que celui-ci fût mis en demeure de fournir des témoignages explicites. Les vingt premiers jours de juillet se passèrent ainsi. Le 22 et les jours suivans, M. Adams et M. Dudley soumirent aux autorités anglaises des dépositions de marins et d’ouvriers des ateliers de MM. Laird, qui déclaraient unanimement que la canonnière suspecte avait été mise en chantier sur l’ordre du capitaine Bullock, et qu’elle devait faire la course sous le pavillon confédéré. Ces dépositions furent examinées à Londres par les conseillers de la couronne, qui déclarèrent enfin le 29 juillet qu’il y avait lieu à saisie. C’était trop tard : le 28, dans l’après-midi, la canonnière était sortie du bassin flottant où on l’équipait. Le 29 au matin, elle prenait la mer sous prétexte de faire un voyage d’essai, et, pour éloigner les soupçons, elle emmenait d’assez nombreux visiteurs, parmi lesquels étaient plusieurs dames ; mais à l’embouchure de la rivière ces personnes étrangères furent