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embellissait-elle le tableau. Quoi qu’il en soit, l’industrie du nord n’était assurément pas restée en arrière.

Mais fédéraux et sécessionistes ne durent pas moins dans le principe acheter en Europe les armes et les munitions qui leur faisaient défaut. Le cabinet anglais ne mit aucun obstacle à ce trafic. Que ces marchandises fussent achetées par les délégués des belligérans et pour leur compte direct ou par des négocians qui les leur revendaient, qu’elles fussent transportées en Amérique par bâtimens anglais ou par bâtimens américains, peu importait au gouvernement britannique. Les navires engagés dans ces opérations couraient le risque d’être capturés comme porteurs de contrebande de guerre, auquel cas, la capture étant légitime, ils perdaient tout droit à être protégés par leur pavillon. C’est un principe du droit international que les puissances neutres ne sont pas tenues d’empêcher leurs sujets de violer un blocus ou de faire la contrebande de guerre. Les États-Unis l’avaient eux-mêmes reconnu pendant la guerre de Crimée. Ils avaient eu la prétention d’observer une stricte neutralité à l’égard de la Russie, et pourtant des navires américains transportaient sans cesse des troupes, des vivres et des munitions entre les ports de France ou d’Angleterre et le théâtre de la guerre.

Cependant il y a une limite à cette tolérance des gouvernemens neutres à l’égard de la contrebande de guerre. Ils ne doivent pas permettre que leurs sujets soient enrôlés, ni que des navires soient équipés et armés dans leurs ports avec l’intention de venir en aide à l’un des belligérans. En ce qui concerne l’Angleterre en particulier, ces opérations sont interdites par le foreign enlistment act. Les employés des douanes et les officiers de la marine royale ont le pouvoir de saisir les navires qui violent cette loi et de traduire devant les tribunaux compétens les individus qui contribueraient à de tels actes. Nous allons voir quelles difficultés se présentèrent dans l’application de ces principes[1].

Dès le début des hostilités, le gouvernement confédéré avait acheté quelques navires de commerce avec l’intention de les transformer en navires de guerre. Le Sumter fut l’un des premiers à prendre la mer. Sous le commandement du capitaine Semmes, que les courses de l’Alabama rendirent plus tard fameux, ce bâtiment franchit le 30 juin 1861 les passes du Mississipi en déjouant la

  1. La déclaration faite par M. Gladstone dans la chambre des communes en juillet dernier est conforme à ces principes. L’exportation de la houille reste libre ; mais, si des navires anglais chargés de houille transbordent leur cargaison en pleine mer sur les navires des escadres belligérantes, ils assument le caractère de transports attachés au service de ces escadres, et sont soumis on cette qualité aux pénalités du foreign enlistment act.