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qu’il faut faire gronder des paroles de menace et d’épouvantement ?

On semble n’avoir pas compris que la peur du diable est le contraire de l’amour de Dieu, et il est à craindre qu’on ne trouble beaucoup ces faibles têtes avec des pratiques religieuses exagérées. Les indigentes sont divisées en neuf congrégations qui sont la congrégation du Saint-Sacrement, du Sacré-Cœur, de la Sainte-Vierge, de Sainte-Geneviève, de Saint-Vincent de Paul, du Rosaire-Vivant, de la Sainte-Enfance, de la Propagation de la foi et des Ames du purgatoire. Ce choix est fort habile, surtout en ce qui concerne les trois dernières congrégations. C’est un grand honneur, fort recherché, d’appartenir à ces sortes de confréries ; on n’y est pas toujours admis d’emblée. Récemment on a dû consulter le suffrage universel et faire un véritable plébiscite pour savoir si une pensionnaire désignée était digne d’être reçue membre d’une des congrégations. On peut juger quel remue-ménage dans tout l’hospice, et combien ces procédés, puérils en eux-mêmes, cruels pour la malheureuse qui en est l’objet, sont de nature à détruire le calme dont ces misérables ont avant tout besoin. Au jour de la Fête-Dieu, après la messe, nous avons vu défiler toutes ces congrégations, distinguées les unes des autres par des cordons de différentes couleurs portés en sautoir et par des bannières d’une extrême richesse, que ces malheureuses ont payées de leur pauvre argent. Il est difficile de voir passer la congrégation de la Sainte-Vierge sans réprimer un sourire. Quoi ! l’immaculée par excellence, le type de toute chasteté, celle dont la pureté miraculeuse déjoua les lois inéluctables de la nature, est symbolisée par des vieilles femmes qui pour la plupart sont arrivées à la caducité à travers tous les désordres de la vie ! Il y a là de quoi surprendre, et, pour la Salpêtrière, la congrégation de la Vierge devrait faire place à celle de sainte Madeleine ou de sainte Pélagie.

Ces cérémonies sont bonnes en elles-mêmes ; elles ont un grand éclat et occupent les esprits des pensionnaires, pour qui elles sont une distraction d’un ordre élevé. Lorsque l’aumônier revêtu d’un costume éblouissant, abrité sous le dais, tenant entre ses mains l’ostensoir d’or, passe dans les jardins, les cours et les promenades, précédé par la musique d’un régiment, escorté de ses assesseurs en vêtement de gala, suivi du suisse plus doré que jamais, accompagné par toutes les femmes valides de l’hospice marchant sous leur bannière respective, — lorsqu’au bruit des fanfares mêlés aux chants religieux, au milieu des fumées de l’encens et des fleurs que jettent les petites idiotes habillées de blanc pour figurer des anges, il s’arrête aux reposoirs préparés, élève l’hostie et donne la bénédiction