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on y prépare des mèches de veilleuse, on y tourne des ronds de serviette, on y enlumine des gravures communes dans des baguettes de châtaignier, on y taille des faussets destinés à oblitérer les trous que les marchands de vins et les employés de l’octroi font d’un double coup de foret aux tonneaux dont ils veulent goûter le contenu. Chacun arrange son achoppe à sa guise ; il en est peu qui ne soient ornées d’un fragment de miroir. Les infirmes, les impotens, ceux qui ne peuvent quitter leur lit, mais qui ont conservé le libre exercice de leur main, obtiennent la permission de travailler dans les dortoirs ; on a été obligé de limiter les autorisations accordées et de veiller à ce que chaque ruelle ne devînt pas une sorte d’atelier muni de tours, encombré de matières premières, bruyant et tout à fait incompatible avec un lieu spécialement destiné au repos. Il en était ainsi autrefois, et ce n’est pas sans peine qu’on est parvenu à donner aux dortoirs l’apparence qu’ils doivent présenter. Jadis l’incurie administrative était poussée à ce point que chaque pensionnaire avait près de son lit même l’attirail d’un petit ménage, sans oublier le fourneau sur lequel il faisait cuire toute sorte de ragoûts. Les salles étaient infectées par une perpétuelle odeur de cuisine, qui devenait presque un danger.

Sous le rapport des repas, de notables améliorations ont été introduites par l’administration ; de 1841 à 1850, on a construit de grands réfectoires où toute la population valide est tenue d’aller manger. Avant cette époque, les vivres, distribués à heure fixe, étaient consommés dans les dortoirs, dans les cours, an grand mépris de la propreté et de la salubrité ; de plus bien des ivrognes vendaient leur ration à vil prix, afin d’avoir quelques sous pour les jours de sortie. Tout est fort bien ordonné à cette heure, et seuls les infirmes ont droit de manger dans le dortoir. Comme tous ces vieillards ont constamment soif, la pharmacie met chaque jour à leur disposition 1,500 litres de coco, qu’ils vont puiser eux-mêmes dans une immense cuve qui contient l’eau et les bâtons de réglisse. Il va sans dire que cette tisane n’est rien moins que de leur goût, et deux fois par jour, de sept heures à neuf heures du matin, de une heure à trois heures de l’après-midi, ils peuvent aller à la cantine, où ils trouvent en quantité déterminée du vin rouge, du vin blanc et même de l’eau-de-vie. Cette cantine est gérée et alimentée par l’administration ; autrefois il en était autrement. Avant 1802, un débitant vendait à boire à tous les reclus sans distinction. Un rapport fait en 1790 établit que le bénéfice net de cet industriel était en moyenne de 46,090 livres par an. Deux arrêtés du conseil général des hospices, l’un du 29 avril, l’autre du 17 septembre 1802, supprimèrent le débit, et mirent la cantine en adjudication