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essaient de refaire le passé à leur image et plongent dans le temps écoulé des racines imaginaires pour se rendre plus solides et plus vénérables. Il appartient aux historiens et aux critiques de réagir contre ce double entraînement. Ils ne doivent jamais oublier qu’entre deux religions successives s’opère, malgré qu’elles en aient, une sorte de pénétration réciproque, la plus ancienne envahissant la nouvelle, et celle-ci falsifiant l’autre naïvement ou de propos délibéré, à peu près comme les physiciens voient deux liquides de densité différente séparés par une membrane se substituer l’un à l’autre.

A vrai dire, comme on l’a très bien observé de nos jours, il n’y a jamais eu au monde qu’une seule religion, qui est l’aspiration de l’homme vers l’infini ; cette religion, variée et développée de mille manières, atteignant peu à peu un haut degré de pureté morale, a été souvent pervertie et mise au service des ignorances les plus brutales ou des perversités les plus raffinées ; mais elle se dégage toujours tôt ou tard de ce qui lui est étranger, et reprend sa marche ascendante vers la perfection, vers l’idéal.

Dans cette histoire universelle de la religion, qui est encore à faire, et dont les savans et les voyageurs modernes rassemblent les matériaux, nous sommes convaincu que le moment décisif, le point culminant du passé et la source des progrès à venir, le passage du crépuscule au jour ou de l’enfance religieuse et morale à la virilité, c’est et ce sera toujours la vie et la mort, l’enseignement et l’exemple de ce maître incomparable, Jésus, qu’on a appelé dédaigneusement d’un nom pour nous significatif et plein d’attrait : « le Galiléen. »


ATHANASE COQUEREL.