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splendide, et les terrasses du couvent bâti au sommet du mont sont un séjour délicieux. Un endroit si privilégié a dû être de tout temps le centre d’un culte en ces parages. Le nom de Carmel (parc de Dieu) signifie le plus beau parc du monde, les Juifs, le peuple théiste par excellence, ayant fait du nom de Dieu comme un superlatif d’admiration. Pythagore y vint adorer l’écho. Le Carmel tient une : grande place dans l’histoire et la légende du plus grand des prophètes du nord, Élie. Plus tard, Vespasien y offrit un sacrifice, et Tacite en fait mention. De nos jours, le couvent ou du moins l’église a été entièrement reconstruite ; il faut admirer la persévérance et la force de volonté d’un moine, le frère Baptiste, qui a couru l’Orient et surtout l’Occident en quêtant pour rebâtir Notre-Dame-du-Mont-Carmel, et y a réussi. Par malheur, il a fait barbouiller impitoyablement de jaune et de bleu l’intérieur de l’édifice, et il y a laissé mettre des pilastres accouplés sous un seul chapiteau, de manière à révolter le goût le moins exigeant. Notre-Dame-du-Mont-Carmel est l’objet d’une vénération toute particulière, et nous avons vu son image habillée de bijoux et de riches étoffes couvertes de broderies de soie et d’or aux couleurs éclatantes, qu’on nous a dit en grande partie envoyées de Paris.

Les carmes et les carmélites tirent, comme on le sait, leur nom de ce lieu. Ils ont une tradition qui mérite d’être signalée, parce qu’elle recèle, comme la plupart des légendes, quelques traces de vérité. Cet ordre se croit le plus ancien de tous les ordres chrétiens ; il prétend dater, non pas de Jésus et des apôtres, mais du judaïsme. Il se dit fondé par Élie, et se plaît à remonter même à Samuel. Ce qu’il y a de vrai, c’est que Samuel organisa les écoles des prophètes, qui sont fort peu connues, mais étaient certainement importantes. Ce qui est avéré aussi, c’est qu’Élie, à la tête de nombreux disciples appelés fils des prophètes, séjourna plus d’une fois au Carmel. Assurément ses disciples ressemblaient fort peu à des moines catholiques, assurément aussi Jésus ne fut pas plus moine que prêtre, vécut et mourut laïque, et rien n’est moins monacal que ses enseignemens ; toutefois il est certain que, longtemps avant le christianisme et au sein de religions très diverses, le monachisme a toujours été en faveur dans l’Asie, pour bien des motifs auxquels le climat n’est point étranger. L’esprit des anachorètes et des cénobites, quoique absent du christianisme primitif, quoique opposé, sous bien ides rapports, au genre de vie que Jésus imposait à ses disciples au milieu du monde, se fit jour peu à peu dans la chrétienté et finit par l’envahir.

On peut comparer les religions qui se succèdent dans un même pays à l’écriture de ces manuscrits que les érudits ont nommés