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de lui obéir et de l’imiter. Il est vrai que l’un est plus facile que l’autre.


IV

Le 6 octobre, à sept heures du matin, après avoir visité les bains chauds au sud de Tibériade, nous partîmes pour le Thabor. Nous avons déjà rappelé que les montagnes de Syrie sont en général régulières de forme, arrondies, sans pics aigus ni crêtes déchirées ; mais entre toutes la plus symétrique, celle à qui des pentes douces, un large sommet, donnent à peu près l’aspect d’une cloche énorme, c’est le Thabor : elle réalise plus que tout autre le type palestinien. Seule, la Montagne des Francs, appelée par les Arabes El-Fureidis (le paradis), et par les anciens l’Hérodion, est de tous côtés aussi parfaitement semblable à elle-même ; mais elle l’est devenue, car on sait qu’Hérode le Grand y avait fait de grands travaux pour s’y créer au besoin une retraite imprenable. C’est une montagne régularisée, rectifiée de main d’homme. Le Thabor est une montagne naturelle et paraît avoir porté toute une ville à l’époque de Jésus-Christ. Aussi M. Stanley a-t-il démontré que la tradition s’est trompée en appliquant au Thabor ce qui est dit dans les Évangiles de la transfiguration ; c’est le mont Hermon que les évangélistes ont voulu désigner. Un couvent et une église grecque s’élèvent sur le plateau ; ils sont décorés avec un certain luxe, mais sans goût. Une chapelle catholique s’y trouve aussi ; elle était fermés, et l’on nous apprit qu’elle s’ouvre une fois par an seulement, le jour où l’église romaine célèbre la fête de la transfiguration.

Une particularité remarquable du Thabor, c’est que les flancs de cette montagne sont revêtus d’une végétation vigoureuse. Il y a là des chênes à très gros glands (quercus œgylops), et sous ces beaux arbres touffus un fouillis de broussailles enchevêtrées très peu commun en Palestine. Aussi la tradition, ingénieuse à tout mettre en œuvre, a-t-elle imaginé que Caïn, le premier meurtrier, s’était caché dans ces fourrés et y avait longtemps erré comme une bête fauve. Quant à nous, tout ce que nous vîmes errer sur les pentes du Thabor, ce furent des bohémiens dont le campement était très pittoresque. Ces nomades étaient industriels à leur manière, ils faisaient des tapis. C’était chose étrange que de voir sur le sol à peine déblayé une longue bande formée de fils très forts qui sont la chaîne du tapis. Deux femmes couchées à plat ventre sur la terre ourdissaient la trame. Pour les préserver du soleil pendant leur travail, un léger toit mobile en étoffe de poil de chameau était dressé obliquement sur deux bâtons, à peu près comme l’écran qui préserve les