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d’un vaste trapèze. Arrivés à Tell-Houm, sur le rivage, nous vîmes l’eau d’un bleu de ciel limpide et vif réfléchissant dans tout son éclat le beau ciel pur qui resplendissait au-dessus de nos têtes.

Pendant toute la journée, nous ne fîmes que longer ces bords charmans, tantôt chevauchant sur les galets, tantôt obligés de serpenter sur un étroit sentier en suivant les détours d’une berge élevée. Vers midi, le bleu du lac s’était changé en un vert magnifique, à la fois transparent et foncé. La masse des eaux ressemblait à une immense émeraude ; le regard plongeait avec délices dans ses profondeurs lumineuses et fortement colorées. Quand le soleil cessa de darder d’aplomb ses rayons, la couleur du lac changea de nouveau par degrés ; vers la fin de l’après-midi, un bleu indigo très sombre, presque opaque, tirant sur le violet, envahit toute la surface. Lorsque le soleil disparut, cette même surface prit une teinte vague entre le gris et le vert d’eau qui rappelait, sans cependant la reproduire, la première nuance du matin. Cette pâle coloration contrastait avec les montagnes de la rive opposée toutes flamboyantes des reflets du couchant. Enfin, la nuit tombée, les eaux parurent d’un bleu noir où brillaient les étoiles, et me rappelèrent de beaux vers de lord Byron.

Le lendemain, sous les murs de Tibériade, nous attendîmes le lever du soleil devant notre tente, au bord de l’eau. Il allait apparaître en face de nous, au-dessus des collines dont nous étions séparés par la largeur du lac. Déjà une clarté diffuse révélait tous les objets au regard, mais tout était encore incolore et pâle. Les coteaux qui nous dérobaient l’astre étaient surmontés, comme d’une haute muraille, de nuages très sombres. Bientôt le haut de ce rideau noir se frangea de blanc ; cette bordure s’élargit, devenant plus brillante, comme argentée ; tour à tour elle parut toute dorée, puis s’empourpra et se couvrit du rouge le plus ardent. Tout à coup au milieu de cette pourpre éclate un vrai brasier ; ce n’est plus de l’or ni de l’écarlate, c’est du feu ! L’instant d’après, ce foyer embrasé lance deux rayons qui jaillissent à droite et à gauche en s’élevant et s’élargissant de plus en plus, comme ceux qu’on représente sur le front de Moïse. Ces deux flammes s’écartent, s’étendent en tout sens, se multiplient et courent partout allumer l’incendie. Alors, du bandeau de nuages noirs déchiré par mille feux, il ne reste que des lambeaux épars qui roulent étincelans de tous côtés. Derrière nous, les brumes légères de l’occident se nuancent de reflets roses et orangés ; le lac passe déjà d’un gris de perle à un blanc presque pur, puis il réfléchit, comme un miroir profond, ce jaune d’or, ce rouge éblouissant, cette braise incandescente, découpés par les brises fraîches du matin en mille lames qui tremblent et qui scintillent.