Page:Revue des Deux Mondes - 1870 - tome 89.djvu/305

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laisser tomber le long de leurs joues, depuis les tempes jusque sur le cou, deux longues mèches de cheveux plats et luisans. De plus les Israélites qui habitent Safed ne se coiffent pas, comme les autres Orientaux, du turban, du tarbouch de drap rouge ou de la simple kouffieh[1]. Ils se sont avisés d’emprunter à l’Europe le plus disgracieux de ses couvre-chefs ; ils portent notre affreux chapeau noir en tuyau de poêle, rendu plus ridicule par le contraste de tout le reste de leur costume, qui est à peu près levantin. Quelques-uns, il est vrai, mettent sur leur tête un épais et très large bonnet de fourrure. Ce qui explique ce mélange des modes de l’Orient et de l’Occident, c’est que la population de Safed a fait en Russie et en Pologne un séjour de quelques siècles, et a rapporté d’un climat tout différent des mœurs et des vêtemens qui s’accordent mal avec ceux de sa vraie patrie.


III

Nous étions impatiens de voir enfin le lac de Tibériade ; nous quittâmes au point du jour nos tentes dressées sous de superbes oliviers, et nous gravîmes le sommet de la montagne de Safed, couronnée des ruines d’un château-fort. L’histoire de cette forteresse est tragique. Construite probablement par les croisés et défendue par les templiers, elle fut prise par Saladin après cinq semaines de siège et détruite. Un évêque de Marseille, Benoît, la rebâtit en 1240 ; mais vingt ans plus tard le fanatique sultan du Caire, Bibars, la reprit, et, malgré une capitulation formelle, massacra jusqu’au dernier les deux mille chrétiens qui s’étaient rendus à lui. Quant à leur chef, il le fit écorcher vif. Les restes de cette citadelle sinistre ont été encore bouleversés par le tremblement de terre dont nous avons parlé plus haut. De cette ruine lugubre, nous découvrîmes le beau pays de Génézareth, le jardin des princes de Nephthali, car tel est le sens de ce mot. Hoc erat in votis ! c’est ce que nous avions si longtemps souhaité de voir. Le lac s’étendait au loin devant nous ; les rayons du soleil levant n’étaient pas encore descendus à cette profondeur, les eaux semblaient d’un gris de plomb, blanchâtre et terne. Une descente, par momens difficile, qui dura trois heures, nous, amena enfin au bord du lac Le paysage s’était élargi à mesure que nous débouchions ; d’une vallée étroite dans une autre plus spacieuse. Le lac s’était peu à peu animé et coloré ; il déployait sous nos yeux sa couronne de collines, et prenait, par degrés la forme

  1. Écharpe de soie ou de laine qui se drape autour de la tête et s’attache avec une corde en couronne.