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1130 les Sarrasins l’enlevèrent aux chrétiens, qui le leur reprirent plusieurs fois. En 1165, Noureddin de Damas s’en empara définitivement. Dès lors les musulmans en ont toujours été les maîtres, mais depuis environ deux siècles ils l’ont abandonné.

Cette curieuse et importante forteresse est double, bâtie sur deux plateaux irréguliers qui se touchent par un point, en sorte que le plan de l’édifice présente à peu près la forme d’un 8. Quatre tours rondes et des bastions carrés, tous revêtus des bossages usités de tout temps en Syrie, donnent un grand air de force et de durée à la façade. Une précieuse ressource pour les habitans, c’était un grand bassin voûté en ogive qui existe encore, et dont l’eau est couverte d’un tapis de mousse verte. Parmi les salles nombreuses, imposantes, quoique délabrées, il en est une, hexagone, dont l’architecture est fort remarquable. Chacun des six murs est percé d’une fenêtre en ogive qui, diminuant de largeur dans l’épaisseur du mur, n’est à l’extérieur qu’une meurtrière. L’appareil en ressemble beaucoup à ce que les architectes appellent une trompe sur le coin biaise. Au centre de la salle se dresse un pilier vigoureux à sept faces. Six d’entre elles vont se relier aux six panneaux de mur par des berceaux circulaires, et ces berceaux, par leurs intersections successives, forment des demi-circonférences nettement accentuées. Du côté du pilier, la voûte est une voûte d’arête ; elle devient du côté du mur une voûte en arc de cloître. L’effet de cette voûte bizarre est des plus saisissans ; il y avait évidemment parmi les croisés des constructeurs habiles et hardis ; l’étude de leurs œuvres serait utile malgré la barbarie à jamais regrettable avec laquelle ils ont détruit d*admirables constructions antiques ou musulmanes. Sous ce rapport, même après les travaux de M. de Vogué, il reste à faire en Syrie des études pleines d’intérêt. Le château de Soubeibeh mérite de tenir un des premiers rangs dans les recherches archéologiques.

Nous ne dirons qu’un mot du tombeau ou wély musulman qui s’élève sur la hauteur au-dessus de la ville, et d’où la vue est admirable. C’est une des nombreuses sépultures attribuées à El-Khodr, être légendaire qui semble réunir en sa personne le prophète Élie des Juifs et le saint George des catholiques, saint d’ailleurs fort peu orthodoxe. Ce héros à demi fantastique, vénéré par les sectateurs de trois religions fort différentes, est encore un exemple des mélanges singuliers, des perpétuelles tentatives de syncrétisme que l’on rencontre dans ces contrées. Un Juif, un musulman, un catholique, vantent chacun leur saint, et il est parfois difficile de démêler dans leurs trois récits ce qui devait appartenir primitivement à chacun des saints reniés par les uns et réclamés par les autres.

Il me souviendra longtemps de notre départ de Banias. Après une