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de l’alimentation publique, l’importance qu’ils doivent avoir. Toutefois c’est une véritable et immense manufacture de chair vivante qu’il faudra créer. Or une semblable entreprise, abstraction faite des ouvriers qu’elle emploiera, ne peut être dirigée que par des hommes spéciaux, qui aient étudié à fond toutes les données du problème, toutes les faces de la question. C’est pour cela que nous mettons en avant, comme pierre angulaire de l’édifice, la création d’une école d’aquiculture. Nous proposons la même marche que l’on suivit lorsqu’on voulut la restauration intelligente de nos forêts dévastées. L’état n’a pas eu à se plaindre de ce qu’il institua, quoiqu’il y ait fait preuve d’une générosité qui n’a pas péché par l’excès. Quant au projet qui nous occupe, une semblable parcimonie ne serait pas de saison, d’abord parce que les études préliminaires sont à faire, en second lieu parce que les résultats à attendre lors de la réussite de l’opération auront une bien autre importance.

En fait d’aquiculture, que savons-nous ? Considérée dans son acception étendue, elle a pour but de convertir en chair assimilable à l’homme des matières dont les unes seraient complètement perdues pour lui, et dont les autres, grâce à cette transformation, peuvent doubler de valeur. Ou se trouvent consignés les moyens d’exécution ? Partout. Qui ne verrait là un champ immense ouvert aux expériences, aux recherches sur l’histoire naturelle et sur l’économie politique et privée ? Il ne s’agit plus ici de multiplier les classifications, il s’agit de pénétrer les aptitudes, les besoins, de deviner les instincts, de constater les mœurs des habitans de l’eau, et ce n’est point besogne aisée. Rien que la différence d’élément décuple les difficultés. Ajoutons qu’il faudra créer une physiologie et une hygiène des espèces aquatiques, qu’on sera conduit à dresser la liste des êtres que chacune recherche, et dont chacune a besoin pour vivre, croître et se reproduire. Ce n’est pas tout encore : on devra opérer une sélection entre les espèces rémunératrices et celles qui ne le sont pas.

Tout cela, c’est un monde à soulever ; nous ne pouvons qu’effleurer des questions si importantes, si neuves, si difficiles. Nos savans les plus autorisés seraient fort embarrassés de nous dire en quoi telle eau diffère de sadisme ; la truite, elle, ne s’y trompe pas. Le poisson, guidé par bon instinct mystérieux, sent et voit ; il demeure ou fuit, prospère ou meurt ; Il est hors de doute cependant que l’influence des états physiques des diverses eaux est très grande, puisqu’elle en détermine la plupart du temps le repeuplement ; mais qui connaît les rapports possibles entre ces états et la quantité de ces peuplemens ? Qui sait la valeur des terrains, des fonds, par rapport aux poissons ?

Avant de demander des conseils et des avis aux sciences