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2° le partage des eaux entre le domaine public et le domaine particuliers De ce côté, les difficultés seront incessantes et inextricables jusqu’à ce que notre législation soit radicalement modifiée. Comme on le voit, la tâche de l’aquiculteur n’est pas déjà si simple, et, lorsqu’il a fait provision d’œufs fécondés, lorsqu’il a même versé au milieu d’un cours d’eau les jeunes poissons éclos dans ses appareils, il n’a encore accompli que la moindre partie de son devoir : il lui faut avant tout assurer la continuité et la durée de son œuvre, et cette garantie nous paraît impossible sous l’empire de la législation actuelle.

La pêche en eau douce, par suite de souvenirs des anciennes réglementations, est chez nous la matière la plus bizarrement établie. Tout le monde sait qu’elle s’exerce dans trois genres de propriétés différentes : les eaux fermées, lacs, étangs ou mares, la plupart du temps création de l’industrie humaine et où nul doute ne peut exister sur la toute-puissance du propriétaire, — les eaux ouvertes, parties navigables ou flottables dont la pêche appartient à l’état — et enfin les portions supérieures de ces mêmes eaux, ou certains autres cours d’eau plus petits, qui ne sont propres ni au flottage ni à la navigation, et qui dès lors sont péchés par les riverains. Remarquons que, par une singulière anomalie, la loi actuelle, de même que l’ancienne ordonnance de 1669, ne s’occupe jamais que de la pêche, c’est-à-dire de la récolte, sans songer à la semence, c’est-à-dire au repeuplement. Cela tient à l’ignorance du moyen âge, se reflétant encore aujourd’hui en ces matières. Alors qu’on croyait que le poisson se multipliait seul, annuellement, en abondance toujours égale, on avait trouvé inutile de réfléchir que, même cette égalité de reproduction hypothétique étant admise comme un fait, on marcherait tout droit à la disette dès que la consommation la dépasserait. C’est ce qui n’a point tardé à se produire, et c’est en ce sens que l’on a raison de reconnaître que le dépeuplement de nos cours d’eau date de loin. Si jamais mauvaise disposition fut introduite dans une loi, c’est celle qui permit à l’administration de morceler la portion navigable d’un fleuve par exemple en une multitude de tronçons, dont elle loua la pêche à l’enchère au plus offrant. Tout a été dit sur ce sujet, et nous aurions presque mauvaise grâce à recommencer un procès-qui est gagné sans appel devant le tribunal des gens compétens. Il est évident que tout amodiateur n’a qu’un souci, faire le vide absolu chez lui afin que la population de ses voisins s’y extravase. C’est simple, c’est naïf, mais par cela même c’est sûr, et cela se pratique sans vergogne. De plus, comme chacun raisonne au même point de vue, la rivière est dévastée en peu de jours d’un bout à l’autre sans retour. On nous dira que l’administration ne trouverait pas d’adjudicataire