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d’années les Chinois, nous dirions : Instituez des agriculteurs jurés, sortes de fonctionnaires, de magistrats, de syndics, analogues à ceux des gens de mer sur nos côtes. Rendez leurs fonctions le plus honorifiques possible, tout en étant gratuites ; tâchez qu’ils soient élus par les fabricans de poisson, car il y en aura, par les pêcheurs de leurs circonscriptions, par tous ceux en un mot qui vivent, trafiquent ou s’occupent des choses de l’eau. Efforcez-vous de ne pas les laisser devenir chefs de coalitions, ainsi qu’il n’arrive que trop souvent dans les ports. Chargez ces jurés de la surveillance et de la constatation du temps de reproduction. Dans ce cas, ils pourraient être chefs ou supérieurs des cantonniers d’eau dont nous avons parlé. Chaque année, quand ils verront telle espèce en frai, — ce qui se constate immédiatement, dès qu’on veut se donner la peine d’y regarder, — ils avertiront le préfet, lequel fermera sur-le-champ cette pêche, et de même, par quelques essais préalables, ils pourront en déterminer la réouverture. Rien n’est plus facile en prenant au filet un certain nombre de poissons d’essai, que l’on examine et que l’on remet à l’eau.

On nous dira sans doute : Qu’est-ce que cela peut faire que la pêche soit ouverte quinze jours plus tard ou fermée quinze jours plus tôt ? Cette question est du même ordre que celle de la réussite des autres récoltes, non peut-être dans le présent, où nous traitons nos rivières et nos fleuves à peu près avec autant de sollicitude que nos landes les plus abandonnées, mais dans l’avenir, lorsqu’on aura compris que la culture doit passer sur l’eau comme sur la terre. Le poisson n’est en définitive qu’un objet de consommation, qui, une fois arrivé à point, doit être utilisé sous peine de perte. Eh bien ! quand les eaux de France seront empoissonnées ainsi qu’elles doivent l’être, qui saurait calculer les pertes énormes qu’un retard comme celui dont nous parlons pourra produire ? Tant que le poisson fraie, respectez-le, donnez-lui tous les moyens possibles de sauver ses œufs, c’est votre intérêt. Au contraire, dès qu’il a frayé et qu’il vous a fourni, assuré la reproduction de son espèce, versez-le dans le torrent de la consommation. Chaque instant de retard est une perte inutile et sans compensation.

Pour assurer la régularité et la sûreté du traitement de culture intensive sur les eaux, il faut la surveillance efficace des cantonniers. Or cette surveillance demandera et des hommes et de l’argent. Si l’état s’en charge, il faudra lui en fournir l’équivalent par quelque impôt. Ne vaudrait-il pas mieux laisser aux pisciculteurs eux-mêmes, aux fabricans de poissons, le moyen de garder leur marchandise ? Peut-être ; mais alors on se heurte à plusieurs obstacles : 1° le morcellement des cantonnemens de pêche sur les fleuves et rivières navigables et flottables par suite du mode de location, —