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l’essayer ? Il faudra d’abord que le paysan sache et comprenne le profit qu’il peut tirer de sa mare, comme il sait et comprend ce qu’il peut obtenir de son champ. Par les quelques progrès qu’il a déjà réalisés sous ce dernier rapport, par la somme d’efforts que l’on a dû y dépenser, on peut juger de ce qui reste à faire, maintenant qu’il s’agit d’aquiculture. Instituez des cours temporaires, — je dirai presque ambulans, — dans les villes, les bourgs et jusque dans les villages ; faites construire quelques installations, quelques modèles bien choisis, dans chaque département, dans chaque canton, s’il le faut ; distribuez des récompenses sous toutes les formes à ceux qui vous suivront et vous imiteront. La réussite est certaine ; mais il faut des professeurs, il faut un centre d’initiative.

Ce serait dans les établissemens modèles ainsi créés que, parallèlement aux poissons communs des eaux fermées, on devrait traiter les salmonidés, ces produits précieux des eaux ouvertes, mais qui deviennent l’apanage des rivières de montagnes et de certains ruisseaux dont l’adaptation à leurs mœurs est encore un mystère. Fort heureusement pour nous, les salmonidés, — poissons de luxe au premier chef, — produisent des œufs d’une taille relativement énorme qui facilite la piscifacture. C’est sur ces espèces que reposera la richesse de l’avenir, sans qu’on doive pour cela négliger la reproduction des cyprins de bonne qualité, dont nous avons vu tout à l’heure la fabrique première dans la mare. Quelques pisciculteurs ont compromis le succès de leurs élevages en voulant a toute force introduire des salmonidés dans leurs eaux, tandis qu’il leur eût été facile de repeupler celles-ci à l’aide des poissons blancs qui s’y rencontrent. Nos eaux ouvertes, quoique bien appauvries déjà, renferment cependant encore quelques représentans clair-semés des espèces qui jadis y ont prospéré. Ce n’est point ailleurs qu’il faut chercher la matière du repeuplement complet et fructueux de ces eaux, du moins pour la première heure ; plus tard on avisera. Le premier progrès devra être d’emplir nos fleuves de chair mangeable ; ensuite nous les emplirons de chair délicate, si nous le pouvons.

Sans doute des efforts ont été faits pour amener dans nos contrées de nouvelles espèces de poissons ; malheureusement les espèces préconisées étaient aussi mal choisies que possible. Sans prétendre que nous possédions dans nos eaux des poissons tout à fait phytophages, — ce qui serait une erreur, car tous les poissons deviennent carnivores à l’occasion, — nous ne pouvons compter comme carnassiers que trois espèces, le brochet, la perche et la truite ; je laisse de côté l’anguille, toujours voyageuse, et j’embrasse sous le mot truite la famille des salmonidés. Or, de ces trois carnassiers, deux au moins infestent nos rivières, et celui qui semble le plus inoffensif est celui dont les ravages sont les plus terribles. La perche est un fléau