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l’alimentation des masses se présente à l’état de fait accompli dans une certaine mesure.

Le mal actuel est reconnu, le danger constaté, la disette imminente. Comment expliquer, devant de tels faits, l’indifférence dans laquelle on se complaît chez nous, tandis que l’Angleterre marche ? Nos voisins acceptent l’utilité immédiate de l’aquiculture, ils l’appliquent non-seulement à leurs eaux douces, mais à leurs côtes, trouvant désormais que ces côtes, dix fois plus fertiles pourtant que les nôtres, ne rapportent plus assez. Depuis longtemps, la Chine a vu la moitié de sa population quitter la terre ferme pour habiter exclusivement l’eau douce des fleuves, des lacs, des étangs. Dans le céleste empire, la culture de l’eau, la culture du poisson, sont en honneur. La Suède, la Norvège, le Danemark, font des pas de géant dans le repeuplement de leurs fleuves, de leurs lacs admirables. La Russie les suit, mais plus timidement ; l’Allemagne, la Suisse, marchent sur leurs traces. Partout des comités, des clubs, des sociétés de pisciculture s’organisent, s’étendent, prospèrent. En France, presque rien ne se fait.

Cependant la pisciculture n’est point un vain mot. Elle n’est pas aussi simple qu’on l’a cru longtemps, et, sans vouloir invoquer l’exemple et les résultats acquis à l’étranger, Huningue chez nous a fait ses preuves ; malheureusement une chaire unique ne suffit pas pour un pareil enseignement, surtout quand cette chaire est confisquée par une seule personnalité. Aussi tous les efforts du gouvernement demeurent-ils paralysés, tous les soins des ponts et chaussées restent-ils stériles, parce que toute initiative individuelle se trouve arrêtée. Tout ce qui ne relève point de certaines personnes soutenues par l’esprit de corps est comme non avenu.

Nous ne ferons rien en France que le jour où le gouvernement favorisera l’initiative individuelle, et, lui mettant la bride sur le cou, la laissera aux prises avec les problèmes. Ce qui est déjà fait prouve que le succès est certain dès qu’on le voudra ; mais il faudrait un centre, et ce centre n’existe pas. Il faudrait une école de pisciculture, d’aquiculture ; il faudrait un enseignement comparable à celui qui a été organisé pour l’agriculture. On nous dira que nous avons des cours de pisciculture à l’École des ponts, des mines, à l’École polytechnique. Sans doute, mais ce n’est là encore qu’un seul des cours que nous réclamons, la culture des eaux ne se réduit pas à savoir faire naître le poisson. A l’École forestière, le cours de culture des bois n’est qu’un des douze que l’on y professe ; à l’école d’aquiculture, il en sera de même.