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armée de 700,000 ou 800,000 hommes, plus encore peut-être, parce que, avec toutes les sinuosités que la Seine et la Marne décrivent autour de Paris, l’établissement du blocus serait certainement beaucoup plus difficile que s’il s’agissait d’une ville à cheval sur un cours d’eau qui. suivrait une ligne directe. Malgré l’immensité du nombre des soldats que les Prussiens ont su mettre sous les armes comme par enchantement et qui leur a seul valu les succès du début de la campagne, il serait absurde de croire qu’il leur reste assez de monde pour investir Paris, d’autant plus qu’ils sont obligés de laisser au moins 200,000 hommes sur les derrières pour garder leurs communications avec la frontière et davantage encore pour contenir les maréchaux Bazaine et Mac-Mahon. En tenant compte des pertes qu’ils ont déjà faites et de celles qu’ils font tous les jours, on ne peut pas admettre que les Prussiens soient capables d’amener beaucoup plus de 200,000 hommes sous les murs de Paris. C’est même probablement exagéré, et ce serait à coup sûr très dangereux pour eux au premier échec ; cependant une armée de 300,000 hommes rangés sur deux lignes n’occupe que 24 kilomètres, pas même le quart de ce qu’il faudrait pour faire sérieusement le blocus de Paris : c’est une entreprise impossible.

Néanmoins portons encore, si l’on veut, l’armée assiégeante jusqu’au chiffre impossible de 300,000 hommes ; mais alors même ce n’est certainement pas plus que ce qu’une ville de 1,800,000 habitans doit pouvoir mettre sous les armes pour sa défense, si en effet elle est sérieusement résolue à se défendre. Sans doute la garde nationale sédentaire ou mobile et les habitans qui se joindraient à elle ne sauraient former du jour au lendemain des corps capables de tenir tête en rase campagne à des troupes réglées comme celles qui composeraient l’armée assiégeante ; mais derrière leurs remparts et pour aider à la manœuvre des pièces, au transport des munitions, des malades et des blessés, aux travaux de terrassement à exécuter en arrière des points menacés et dans l’espace de terrain compris entre les forts et la place, ils pourraient rendre d’excellens services. Il ne faut pour cela que de la bonne volonté et du cœur, d’autant que les citoyens auraient pour les conduire et les diriger l’armée de 100,000 hommes de troupes régulières qui est déjà réunie dans la ville et dans les forts. Ajoutons aussi que le service ne serait pas extraordinairement pénible, car, suivant les principes de l’art, il suffit, pour assurer la défense d’une place comme Paris, de 500 hommes par bastion, ce qui donne pour les quatre-vingt-quatorze bastions de l’enceinte et les soixante-quinze bastions des forts détachés, un total de 85,000 hommes civils et militaires : ce n’est pas le monde qui manquerait à la défense, mais bien plutôt à l’attaque.

Nous admettons cependant encore que l’ennemi, grâce à la supériorité numérique de ses troupes réglées, étant à peu près maître de la