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place. Cet angle est celui que l’on appelle l’angle mort. C’est donc sur le saillant d’un bastion, ou, comme on dit dans la langue militaire, sur la capitale d’un bastion, c’est-à-dire sur la ligne qui le divise en deux parties égales, que l’assiégeant dirige son attaque ou ses attaques, s’il est assez nombreux et assez bien pourvu pour en faire plusieurs. Il est vrai que, pour remédier à cet inconvénient, on a imaginé de construire, en avant des courtines et du corps de place, des ouvrages avancés, demi-lunes, crémaillères, couronnes, etc., qui défendent les approches du saillant et qui peuvent souvent en prolonger la défense, mais qui coûtent de l’argent à construire et à entretenir, qui exigent des garnisons, et qui parfois enfin, enlevés par un ennemi actif et intelligent, peuvent être retournés contre la place elle-même et lui devenir funestes. C’est ainsi qu’en 1832, lorsque nous eûmes pris la lunette Saint-Laurent, la citadelle d’Anvers fut réduite à capituler. Quoi qu’il en soit, ce sont là des considérations dont nous n’avons pas à nous occuper ici : les fortifications de Paris ne présentent pas d’ouvrages avancés, ou, pour mieux dire, leurs ouvrages avancés sont les forts détachés qui couvrent son enceinte, et qui se protègent entre eux et avec elle dans un tel degré de puissance que l’on n’a pas cru utile d’ajouter ni à l’une ni aux autres aucun ouvrage accessoire.

En effet, l’enceinte continue de Paris se développe, avec ses quatre-vingt-quatorze bastions, suivant un cercle presque régulier de 36 kilomètres de circonférence. La ligne que l’on tracerait de centre à centre de chacun des seize forts détachés qui protègent l’enceinte n’a pas moins de 105 ou 106 kilomètres d’étendue. Ces chiffres seuls suffisent à montrer que le siège de Paris est une opération autrement difficile que celle d’attaquer une place ordinaire.

L’histoire des innombrables sièges qui se sont faits depuis bientôt trois cents ans démontre qu’une place, si petite qu’elle soit, est capable d’une défense presque indéfinie, si elle n’est pas régulièrement bloquée, et que dans ce cas la durée de la résistance croit en raison même de la grandeur de la place. Sébastopol, que nous aurions probablement pris en une dizaine de jours, si nous avions pu le bloquer, s’est défendu pendant onze mois contre une armée de 200,000 hommes et contre une artillerie qui à la fin du siège comptait plus de 800 bouches à feu en batterie. Sébastopol n’était pas bloqué, et, soutenu à distance par une armée qu’il nous était impossible d’aller attaquer, il se ravitaillait incessamment de vivres et de matériel de guerre, évacuait ses malades et ses blessés, relevait les corps qui avaient trop souffert par des troupes fraîches qui recommençaient la lutte. Aussi le premier principe de la guerre des sièges, notamment lorsqu’il est nécessaire de les mener vite, est-il de commencer par faire l’investissement de la place que l’on veut assiéger ; or l’investissement d’une place telle que Paris exigerait une