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paisibles, même des députés, qui sont menacés, assaillis, toujours parce qu’ils font cause commune avec l’ennemi, parce qu’ils sont suspects de tiédeur pour le gouvernement. Dans la Dordogne, un fait plus grave s’est passé : un honorable habitant du pays a été brûlé vif, ni plus ni moins. Bref, sous ombre de religion ou de patriotisme, c’est une véritable guerre civile, et la plus odieuse de toutes, la guerre des défiances aveugles et des fanatismes populaires, qu’on laisserait se développer, si l’on n’y prenait garde, si le gouvernement et le corps législatif ne confondaient leurs efforts pour réprimer ces violences, pour rallier le pays dans un sentiment unique et élevé. M. le ministre de l’intérieur s’est empressé, il faut le dire, d’adresser à tous les préfets une circulaire des plus énergiques, et M. le garde des sceaux a donné l’ordre de poursuivre sévèrement les meurtriers de la Dordogne, aussi bien que les agitateurs subalternes qui ont assailli un député de la Somme. À quoi sont dus ces déchaînemens qui par bonheur ne sont que partiels ? Y a-t-il des meneurs mystérieux, et d’où sont venues les instigations ? Nous ne le recherchons même pas. Ce sont là, dans tous les cas, d’étranges patriotes qui, en accusant les autres de trahison, feraient à leur manière et beaucoup plus efficacement les affaires de l’ennemi. Les troubles qu’on ne serait pas parvenu à fomenter ouvertement, on les ferait naître sous le masque des ombrages patriotiques. Ce sont, nous n’en doutons pas encore, de simples accidens, comme il s’en produit quelquefois dans les momens d’émotion publique. Que l’union se maintienne sincère et franche dans les hautes sphères politiques, l’esprit de division ne pénétrera pas dans les masses populaires, et tous ceux qui sont dévoués à leur pays sont intéressés à faire une sorte de police morale, à ne pas laisser des passions meurtrières se déguiser sous une émotion légitime. Non, la cause de la France ne doit point être souillée de ces violences, elle doit rester ce qu’elle est, la cause de la paix et de la conciliation nationale au dedans, comme elle est au dehors la cause de la liberté et de la civilisation.

La Prusse, elle aussi, nous le savons bien, se fait un point d’honneur de répéter par toutes les voix de la presse, des bulletins, des proclamations, qu’elle porte le drapeau de la liberté et de la civilisation. C’est tout aussi vrai que lorsqu’on disait que l’organisation militaire prussienne ne pouvait être une menace pour personne, qu’elle n’était bonne que pour la défense. On le voit bien aujourd’hui, on l’a vu il y a quatre ans, et on le verrait bien plus sûrement encore, si la victoire pouvait rester à ces violens envahisseurs de notre sol. Certes s’il y a un fait éclatant, c’est que la France, en entrant dans la lutte, n’avait d’autre idée que de faire une guerre toute politique, qu’elle n’avait aucune haine contre l’Allemagne, qu’elle ne nourrissait aucune pensée de dévastation et de déprédation. Chose étrange, à la veille même des hostilités, nous nous en souvenons, il s’était élevé une polémique sur la question de