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ses émotions les plus poignantes pour égaler ses efforts à la grandeur du péril. Le mal qui avait été fait, qui était l’œuvre, d’une direction imprévoyante et malhabile, on ne pouvait plus l’empêcher ; mais on pouvait le réparer, on pouvait se mettre en mesure de tenir tête à cette invasion douloureuse en préparant tous les moyens d’une défense nationale appuyée sur l’immensité des ressources du pays. On pouvait enfin organiser cette spontanéité guerrière qui éclatait partout à la fois pour la délivrance de la patrie française. C’est ce qui est arrivé par une sorte d’émulation universelle, et il est certain que, depuis cette heure funèbre de Wœrth et de Forbach, quelque liberté qu’aient elle les armées prussiennes pour se répandre dans nos provinces, pour pousser leurs reconnaissances jusqu’à quelques marches de Paris, il est certain que tout a singulièrement changé. Vue de haut, la situation n’est plus ce qu’elle a été un instant sous le coup des premières défaites. L’invasion, oui sans doute, c’est là toujours le fait brutal, oppressif, insupportable, qui pèse sur toutes les âmes patriotiques, comme il pèse sur une partie du sol national. L’invasion s’est même étendue et aggravée, si l’on veut, par une triste et fatale conséquence des premières erreurs de la campagne ; mais en face de ce fait il y a un pays debout, averti, éclairé, rassemblant son énergie dans un effort suprême, ayant tous les moyens de combattre avec la volonté de vaincre.

Cette différence de situation, elle n’est plus seulement un désir ou une espérance, elle est dans la réalité des choses, elle éclate dans la marché et dans les péripéties de cette guerre, où la nation surprise a été obligée de se reconnaître., de se concentrer, d’opérer ses changemens de front sous le feu même de l’ennemi. Qu’on interroge simplement les faits sans illusion et sans complaisance, qu’on se demande où nous en étions le 7 août et où nous en sommes aujourd’hui. On peut bien le dire maintenant, il y a trois semaines, sous la première impression des désastres de Wœrth et de Forbach, la France, étonnée et frémissante de douleur, passait un instant par une crise terrible ; elle en était à ne plus savoir jusqu’où pourrait aller cette fatalité qui s’abattait sur elle. Que ses soldats eussent combattu avec héroïsme, elle n’en doutait pas certainement ; elle restait convaincue qu’ils n’avaient pu tomber que dans une effroyable lutte, où ils avaient dû être accablés par le nombre. Au-delà, elle ne savait plus rien, elle ignorait encore ce qu’était devenu Mac-Mahon avec ses divisions, où étaient les soldats qui avaient livré bataille à Forbach, et ces désastres, comme il arrive toujours, le mystère les aggravait ; ils apparaissaient dans une ambiguïté sinistre, à travers des ombres sanglantes, sans qu’on en connût l’étendue et les détails. Le gouvernement lui-même était le premier à pousser le cri d’alarme, à démoraliser le pays par ses agitations fébriles et impuissantes, par des proclamations qui laissaient pressentir toutes les extrémités de la défaite. La France en définitive, pour entrée de jeu, voyait