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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




31 août 1870.

Il y a des crises douloureuses et suprêmes d’où les peuples virils sortent retrempés et fortifiés. Certes la France a souffert depuis un mois et elle souffre encore tout ce qu’une nation fière peut souffrir. Elle s’est sentie atteinte dans son intégrité, dans sa grandeur, dans ses intérêts les plus sacrés et les plus inviolables. Elle a vu son sol foulé sous les pieds de l’étranger, ses campagnes livrées aux déprédations de l’ennemi, ses villes insultées et assiégées, la marée de l’invasion montant jusqu’en Champagne et menaçant Paris. C’est un cauchemar sinistre qui s’est appesanti sur nous, avec lequel nous nous débattons en attendant le réveil de la victoire. Et cependant jusque dans ce malheur qui a frappé la France, jusque dans ces revers qui nous ont surpris, on pourrait dire qu’il y a eu quelque chose de salutaire, comme un aiguillon à la fois cruel et généreux.

Que serait-il arrivé, si avec les illusions dont on se berçait, avec les aveuglemens, les légèretés ou les incertitudes de direction qui ont inauguré cette guerre, nous nous étions laissé attirer du premier coup par quelque succès trompeur jusqu’en Allemagne, au-delà du Rhin ? Évidemment le danger eût été bien plus grand, il eût été d’autant plus sérieux qu’on se serait moins aperçu de ce qui nous manquait pour entreprendre cette formidable campagne. L’insuffisance des préparatifs militaires eût éclaté d’une façon plus désastreuse encore le jour où nous aurions rencontré sur leur propre terrain ces forces qui ont débordé sur nos frontières ; notre armée, poussée en avant, eût été exposée à payer chèrement une offensive pour laquelle rien n’était prêt. Sous un certain rapport, cette fatalité des premiers revers nous a peut-être été propice. Elle a réveillé la France, elle a suscité partout le sentiment du péril, elle a ouvert les yeux du pays avant qu’il fût trop tard, et à coup sûr on n’a pas vu souvent un spectacle comparable à celui qui s’est déroulé depuis ce moment, le spectacle d’un peuple se retenant tout à coup par une sorte de crispation sur le penchant d’un abîme, se repliant énergiquement en lui-même pour retrouver ses forces, surmontant sa stupeur et