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l’impulsion qu’il a donnée à l’enseignement, et dont les classes moyenne et supérieure ont continué de profiter.

Mais ses procédés de gouvernement furent détestables par la place qu’y occupait la violence, et en ce que la liberté des peuples et les droits de la personne n’y étaient comptés pour rien. Il subordonnait tout à son but. C’était une dictature qui tenait plus de la politique des empereurs romains à demi divinisés et soustraits à tout contrôle que de la civilisation moderne fondée sur la responsabilité effective du gouvernement et la participation positive de la nation à la gestion de ses affaires. Pombal est un de ces types qui appartiennent au passé et qu’il n’est permis de louer qu’à la condition de les regarder du même œil que les êtres antédiluviens faits pour des conditions d’existence différentes de celles qu’offre aujourd’hui la surface de la planète.

Disons en terminant un mot de l’historien dont nous avons inscrit le nom en tête de cette étude. Il est mort il y a peu de mois, et ce n’est que justice de lui consacrer un souvenir. M. Luiz Gomès était un indigène des Indes portugaises ; né à Goa, il était de couleur noire, mais les noirs de cette contrée n’ont ni les traits ni la chevelure des Africains, et ils leur sont en général supérieurs par l’intelligence. D’un esprit distingué, avec des talens réels, et fort appliqué au travail, M. Gomès a pu, sans sortir de son pays ou du moins du Portugal, où il a siégé aux cortès, écrire son volume sur Pombal en langue française. Son style n’est pas sans étrangetés, mais il est souvent imagé d’une manière agréable. Les traits heureux n’y manquent point. L’ouvrage a été imprimé à Lisbonne en français, ce qui ne doit pas surprendre, car cette capitale est une des villes étrangères où le français est le plus et le mieux parlé.

Ce volume tire un autre genre d’intérêt, celui-là moins original, mais plus scientifique, de ce que l’auteur a eu le bon esprit et la patience qui manque à tant d’écrivains, de remonter aux sources. Il a fouillé dans les archives diverses du Portugal et y a trouvé des documens qui n’y avaient pas été remarqués encore ou du moins publiés. C’est aux ministères de la justice, de l’intérieur et des affaires étrangères qu’il a fait la plupart de ses découvertes, ainsi que dans la bibliothèque d’Evora. Les archives de notre ministère des affaires étrangères lui ont donné aussi des pièces précieuses. Aussi a-t-il pu dire dans sa préface qu’il ferait apparaître sous un jour nouveau le fait dominant de la carrière de Pombal, sa lutte contre les jésuites, et il a tenu parole.


MICHEL CHEVALIER.