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était atteinte, ses forces physiques et morales bien diminuées. Il montra cependant au milieu de sa détresse quelques éclairs de ce courage qui l’avait animé au temps de sa grandeur ; mais en général il fut bien inférieur à lui-même. L’interrogatoire officiel étant terminé, il y en eut un autre, confidentiel, qui devait être communiqué à la reine seule. Le premier avait duré du 9 octobre 1779 au 15 janvier 1780. On ne sait pas exactement la longueur du second. L’un et l’autre ont été conservés dans les archives de la justice à Lisbonne, et M. Gomès les a étudiés tous les deux. Les extraits qu’il en donne sont pénibles à lire ; mais il convient de mettre sur le compte de l’âge avancé de Pombal les défaillances qu’on y remarque. Lui qui avait si peu ménagé la vie et la liberté des autres, il paraissait craindre qu’on ne lui appliquât des rigueurs semblables, et, pour y échapper, il s’enveloppa de subterfuges ou de dénégations dénuées de probabilité. Cette procédure, aussi dérisoire dans les formes que celles dans lesquelles il s’était complu lui-même, reçut son terme par un décret royal du 16 avril 1781. Il y était déclaré que les juges, auxquels le cas avait été soumis avaient jugé à l’unanimité qu’il était criminel et digne d’un châtiment exemplaire, mais qu’en considération de sa vieillesse et de ses infirmités, la reine avait bien voulu se laisser fléchir par ses prières et par sa demande de pardon, demande qu’il avait faite, disait le décret, « en détestant sa témérité, ses excès et ses attentats, » Il était exilé de la cour et devait s’en tenir à vingt lieues. Tous ceux qu’il aurait lésés ou qui auraient des dédommagemens à réclamer de lui pour toutes les peines qu’ils auraient souffertes pourraient lui faire des procès. Cette dernière disposition émanait d’une politique impitoyable. Elle le livrait en proie à tous les ressentimens. Il eût été continuellement devant les tribunaux l’objet de toutes les accusations, de toutes les calomnies et de tous les outrages. La mort vint l’arracher à ce triste sort ; il expira le 8 mai 1782, dix mois après le décret qui lui faisait grâce avec tant de cruauté.

Tel fut le marquis de Pombal : à lui tout seul quelque chose comme notre convention nationale ou le comité de salut public, beaucoup moins inquiété dans l’exécution de ses plans, dans sa domination, et infiniment moins menacé dans sa sécurité personnelle, ce qui le dispensa de se porter aussi souvent aux moyens sanguinaires ; mais tout aussi inexorable quand il rencontrait un obstacle ou une hostilité. Il a été, il reste un des plus renommés parmi les hommes qui ont pris part au gouvernement des peuples dans le XVIIIe siècle, et en somme le plus grand ministre que le Portugal ait jamais eu. Il a laissé dans son pays une trace profonde par sa revendication des droits de la couronne relativement aux ordres privilégiés, par ses réformes si variées dans la législation, par