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leur fût dévoué. Un point d’histoire élucidé par M. Gomès est celui de constater de qui émana l’initiative de ce projet. Il montre, contrairement à l’opinion émise par les autres historiens, que ce fut Pombal. Les trois cours bourbonniennes de France, d’Espagne et de Naples ne voulaient plus les jésuites sur leur territoire, considérant leur présence comme incompatible avec l’intégrité et la sécurité du pouvoir royal. C’est pourquoi les jésuites venaient d’être expulsés presque simultanément de chacun des trois royaumes et de leurs dépendances. Pour la France, ce fut en 1764, à la suite des scandales révélés par la banqueroute du père Lavalette. Pombal partageait à cet égard l’opinion passée à l’état de maxime dans ces trois cours, et il l’avait exprimée avec son énergie accoutumée, en écrivant, peu après l’attentat du 3 septembre 1758, à Almada, ambassadeur de Portugal près la cour de Rome, que « cinquante années de guerre avec une des plus grandes puissances de l’Europe seraient moins nuisibles à l’autorité du roi que la présence des jésuites dans son royaume et ses domaines. » L’expulsion, voie de fait sur laquelle pouvait revenir un autre prince, un autre ministre, qui même pouvait s’éluder, lui sembla n’être qu’un palliatif insuffisant et précaire. Au contraire l’abolition par l’autorité pontificale était une solution efficace et complète. Cependant il rencontrait un obstacle dans l’esprit du roi ; non que ce prince eût de l’attachement pour les jésuites, mais il lui tardait de reprendre avec le saint-père les rapports d’une correspondance affectueuse, qui avaient existé avant l’expulsion de l’ordre, et que les négociations épineuses dont nous avons parlé avaient fait cesser. Élevé « dans le plus aveugle respect, » dit M. Gomès, pour le chef de l’église, Pombal était profondément touché de ce que le pape lui eût adressé, par l’entremise du nonce d’Espagne, le plus tendre appel à la réconciliation. Il était clair qu’au lieu d’apaiser la querelle, on l’envenimerait, on l’éterniserait, si l’on soulevait la grosse question de l’abolition. A cet égard, le doute n’était pas possible, car la sympathie de Clément XIII pour les jésuites était connue. Heureusement pour Pombal, elle se révéla par un acte remarquable d’imprudence et de maladresse. En 1765, Clément XIII publia la fameuse bulle Apostolicum pascendi munus, qui confirmait l’institution des jésuites et tous les actes du saint-siège, bulles ou brefs émis en leur faveur, que les parlemens de France venaient de faire brûler publiquement. Pombal regarda et voulût traiter la nouvelle bulle comme une provocation et un défi à tous les souverains. En parlant au roi au nom des droits de sa couronne, il parvint à la lui faire envisager de même. Par son ordre, le procureur-général de la couronne la réfuta, et un édit la déclara subreptice et obreptice. Du reste, Pombal avait déjà fait savoir au pape que, pour premier gage de la