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bien, on découvrit un prétexte ingénieux pour traduire le père Malagrida devant le tribunal de l’inquisition. Les souffrances qu’il avait éprouvées dans la prison de Junquiera, et dont l’une était l’isolement absolu, avaient bientôt agi sur sa raison, qui paraît n’avoir jamais été bien ferme, et qui alors était affaiblie par les années. Il eut des hallucinations, et ce fut dans cet état d’esprit qu’il écrivit, sous le nom de Vie de sainte Anne, un tissu d’extravagances théologiques et scolastiques. Il s’était imaginé que c’était sainte Anne elle-même qui lui dictait. On prit texte de cette production du délire pour le livrer à l’inquisition, qui le condamna, heureuse en même temps de plaire à un ministre tout-puissant et de frapper la société de Jésus, qu’elle détestait.

Le malheureux vieillard fut conduit au supplice le 2 septembre 1761 en compagnie d’un grand nombre d’autres condamnés : ils étaient cinquante-deux. Les grands, les ambassadeurs étrangers, avaient été conviés à ce spectacle, comme le prescrivait le cérémonial réglé par Philippe II. Des loges étaient construites autour de la place pour recevoir les personnes de distinction, et elles étaient remplies. L’échafaud sur lequel on devait lire aux condamnés leur arrêt était disposé en amphithéâtre et magnifiquement décoré. Malagrida marchait en tête, assisté de deux bénédictins et de deux seigneurs qui devaient, selon l’usage de ces fêtes sinistres, lui servir de parrains. Seul des condamnés, il était garrotté. On lui fit subir une longue série d’épreuves pénibles qui étaient les phases d’une agonie. Il dut entendre la lecture de la sentence du saint-office, qui le déclarait « coupable de mensonges, de fausses prophéties et d’impiétés horribles, » et qui faisait de lui un « hérésiarque endurci. » La lecture finie, il fut dégradé des ordres sacrés par l’archevêque de Sparte, et traîné ensuite devant le tribunal, qui lui accorda la faveur d’être étranglé avant d’être brûlé.

Dans l’intervalle qui sépare l’arrêt du tribunal d’inconfidence et l’exécution du père Malagrida, Pombal avait remporté sur la papauté une victoire manifeste à tous les yeux par les décisions qu’il avait arrachées au saint-père et par les affronts publics qu’il avait infligés au nonce du pape près de la cour de Portugal, le cardinal Acciajuoli. Il avait demandé que, nonobstant les privilèges du clergé tels qu’ils étaient établis en Portugal, les jésuites impliqués dans l’attentat contre le roi pussent, sur l’avis du corps nommé conseil de conscience, et après la dégradation prononcée d’après les règles canoniques, être livrés au bras séculier. Pendant le cours de la négociation, sans crainte de se créer des obstacles, il avait fait rendre, le 28 juin 1759, un édit portant que les jésuites étaient dénaturalisés et chassés à tout jamais du Portugal. Il était défendu, sous peine de mort, aux Portugais de leur faciliter l’entrée du