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d’autant plus que la cause alléguée était plus qu’imaginaire. C’est pourtant ce que fit Pombal. Malagrida fut traduit comme hérétique devant l’inquisition et condamné en cette qualité à être brûlé ; ce supplice terrible est celui qui suivait les condamnations prononcées par le saint-office.

Quels purent être les motifs de Pombal ? Les dominicains, qui étaient les juges du saint-office, n’avaient jamais aimé les jésuites. C’était une raison pour Pombal de les préférer ; avec eux, il était plus assuré de la condamnation qu’il voulait. Une autre raison, c’est que faire subir le dernier supplice au père Malagrida, naguère objet de la vénération publique, était un acte périlleux parmi une population superstitieuse, tant qu’on n’aurait pas mis contre lui pour l’accabler la religion elle-même, au moyen d’une sentence de l’inquisition, tribunal devant les décisions duquel le vulgaire était accoutumé à s’incliner. Un attentat contre le roi n’était pas assez, ou du moins le public n’y croirait pas, tant que le condamné conserverait le prestige religieux qui entourait sa personne. On détruirait ce prestige par une sentence de la sainte-inquisition le déclarant hérétique. On vaincrait le fanatisme par lui-même.

Il est permis aussi de supposer qu’il convenait à Pombal de retourner contre la société de Jésus l’effroyable cérémonie des auto-da-fé qu’elle avait eu le tort immense d’approuver et d’encourager dans l’intérêt prétendu d’une religion de charité. S’il faisait intervenir l’inquisition, le supplice du condamné pourrait être un auto-da-fé dans les règles. Le supplicié serait un jésuite, l’homme le plus respecté de l’ordre dans tout le royaume. On l’y ferait apparaître comme un membre de la société, avec l’habit de la société, afin que l’ignominie fût plus complète pour celle-ci. Afin que l’exécution se gravât mieux dans la mémoire du peuple, on aurait soin qu’elle fût entourée de l’appareil et de la pompe dont l’infernale imagination de Philippe II avait jugé à propos d’embellir ces actes d’atrocité érigés en actes de foi. Ce serait donc un coup dont la société de Jésus ne se relèverait pas. Il est vraisemblable que Pombal se fit à lui-même des raisonnemens de ce genre, et qu’il crut avoir trouvé une habile combinaison politique ; mais la politique honnête et droite ne peut avoir que des sévérités pour de pareils expédiens, quelque artistement qu’ils soient concertés, et Voltaire a qualifié le procès du père Malagrida comme il mérite de l’être, quand il a dit que « l’excès du ridicule y fut joint à l’excès d’horreur[1]. »

Restait à prendre le père Malagrida en flagrant délit d’hérésie. La haine est pour le moins aussi ingénieuse que l’amour : en cherchant

  1. Siècle de Louis XV, ch. XXXVIII.