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justifie les moyens. Il agit en conséquence avec une intrépidité inébranlable.

Selon M. Gomès, le modèle qu’il avait choisi était notre cardinal de Richelieu. Son programme tendait à investir la couronne d’une grande force, à l’émanciper de toutes les tutelles, à l’affranchir de tous les contrôles. A ses yeux, l’aristocratie était un instrument destiné à donner du prestige à la royauté, sans exercer le pouvoir. Quant au clergé, il voulait qu’il se bornât à remplir le saint ministère sans se mêler des affaires de l’état. La conséquence était de dépouiller la noblesse de ce qui pouvait lui rester de privilèges politiques, et de lui créer un contre-poids dans une bourgeoisie instruite et riche ; c’était encore de mettre fin à l’ascendant de la cour de Rome sur le gouvernement portugais,


I

Le marquis de Pombal, qui devait être un des personnages les plus marquans du XVIIIe siècle, naquit le 13 mai 1699. C’était alors simplement Sébastien-Joseph de Carvalho et Mello. Il ne fut titré qu’en devenant ministre, et fut fait successivement comte d’Oyeiras et marquis de Pombal. Il appartenait à une ancienne famille qui vivait sans éclat, mais jouissait d’une grande considération, quoique n’étant pas de la noblesse. C’était un bel homme, avec des traits réguliers, une taille avantageuse, l’œil vif et perçant et un timbre de voix agréable. Il obtint la main d’une jeune fille de très bonne maison, qui l’épousa par amour, premier succès dans la vie, qui lui facilita les autres. Il n’entra dans la carrière des emplois qu’en octobre 1738, presque à l’âge de quarante ans ; mais il y débuta grandement, car ce fut en qualité de chargé d’affaires ; près la cour de Saint-James. Il eut le bonheur de réussir dans une négociation au sujet des privilèges dont les sujets anglais jouissaient en Portugal, sans qu’il y eût aucune réciprocité pour les Portugais établis ou de passage en Angleterre. Les sujets anglais, qui éludaient les lois portugaises, durent s’y soumettre. Le principe de la réciprocité fut reconnu.

De Londres, Sébastien-Joseph de Carvalho passa à Vienne en juin 1745. Il faut qu’il s’y soit fait remarquer aussitôt comme doué d’une aptitude peu ordinaire, car il reçut de la cour près de laquelle il était accrédité, une mission de confiance, celle de terminer une contestation qu’elle avait avec Rome. Il s’en acquitta très bien et mit les deux parties d’accord. Veuf au moment de son arrivée à Vienne, il y contracta un second mariage avec une nièce du célèbre maréchal Daun. Peu après, par raison de santé ou sous prétexte que le climat de Vienne lui était contraire, il demanda son rappel à