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victime. Il est d’ailleurs à remarquer que presque tous les ports de la Prusse sont placés assez loin dans les terres, et qu’il n’est pas facile à une flotte de les aborder. Situés sur des fleuves, à plusieurs lieues de la mer, ils peuvent se garder pour la plupart d’une attaque de l’ennemi. Quoi qu’il en soit, au point de vue des forces navales, la France a une supériorité énorme sur sa rivale. D’après les relevés officiels les plus récens, la confédération de l’Allemagne du nord ne possédait que 44 navires de guerre à vapeur de la force de 9,736 chevaux et portant 336 canons : elle avait en outre 8 bâtimens à voile armés de 150 canons. C’est là un effectif bien modeste ; mais la Prusse n’est qu’au début de ses efforts pour créer une marine : elle a manifesté hautement l’intention de ne reculer dans cette entreprise devant aucun sacrifice, et l’opinion publique a soutenu le gouvernement dans ses premiers essais. On a construit un grand nombre de canonnières, acheté dans les deux mondes des vaisseaux cuirassés, creusé et inauguré avec beaucoup de solennité le port de Willems-Haven dans la baie de Jahde. Avoir une marine et des colonies est maintenant le vœu le plus cher à tout cœur prussien. Y parviendra-t-on ? Les obstacles sont nombreux déjà, et, après la guerre, peut-être seront-ils insurmontables. Ce n’est certes point la matière première qui manque aux Allemands ; ils possèdent tous les élémens nécessaires pour se créer une flotte, ils ont beaucoup de marins et de vaisseaux marchands ; mais ce sont les moyens financiers qui leur font défaut. De ce côté, ils rencontreront toujours des difficultés qu’il ne leur sera pas aisé de surmonter. Pendant longtemps encore, la France peut donc être assurée de la suprématie navale. Quant aux colonies, les Prussiens ont cherché depuis bien des années à s’en procurer. Ils ont médité entre autres des établissemens dans l’Amérique centrale, ils y ont négocié l’achat d’espaces considérables ; mais l’on n’entreprend pas facilement une colonisation dans ces terres tropicales et lointaines. Toutes les côtes et toutes les îles de l’univers propres à être habitées par des Européens sont aujourd’hui, sinon occupées, du moins possédées. Les Allemands du nord entrent trop tard dans la lice. Du reste, au point de vue de leur puissance, ils n’ont pas à s’en plaindre : des colonies, en temps de guerre, sont plus embarrassantes qu’utiles, elles détournent une partie des forces de la métropole.

La France n’a pas de peine à devancer comme puissance maritime la nouvelle confédération germanique. Nous avons un héritage d’honneur et des traditions glorieuses que nos flottes, depuis deux siècles, ont toujours su maintenir. A la fin de l’année 1869, nous possédions 336 bâtimens de guerre à vapeur, mus par une force de 81,450 chevaux, et 80 bâtimens à voiles. L’Allemagne pourra