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qui ne sent pas encore le poids des années. On s’assure alors que la tâche de M. Gladstone est loin d’être finie.

Ne dût-il exécuter qu’une faible partie de celle qu’il s’est tracée, l’heure du repos ne serait pas près de sonner pour lui. La politique de l’action a sa logique comme celle de l’immobilité, et les changemens s’appellent l’un l’autre par une nécessité invincible. M. Gladstone pressait, il y a quelques semaines, la chambre des communes de donner son attention à plusieurs questions graves qu’il lui énumérait, et il n’indiquait pas, tant s’en faut, toutes celles qui s’imposeront plus ou moins prochainement au ministère et au parlement : extension de l’instruction primaire, révision des lois sur les pauvres, abolition du test dans les universités, simplification du mécanisme administratif et suppression des sinécures ou des abus, codification des lois pour en bannir les incertitudes et les obscurités, tout cela sans parler de l’obligation, tôt ou tard inévitable, de réaliser de sérieuses réductions dans les dépenses. M. Gladstone arrivera-t-il au terme de pareils travaux ? Il n’est pas permis de l’espérer ; mais il se forme autour de lui une école d’hommes d’état qui suivront sa voie. Il n’a pas toutes les qualités de calme à toute épreuve, de patience à l’égard des sots, d’aménité constante, qui, dans un chef politique, suppléent quelquefois des qualités plus hautes, et dont celles-ci ne dispensent pas toujours ; cependant il dispose d’une majorité considérable qui le suit moins par affection que par impossibilité de résister, et il est parvenu à fondre dans son ministère des élémens disparates, quelques chefs du vieux parti whig avec la fleur du jeune libéralisme, le chef illustre et respecté de l’ancienne école de Manchester avec le coryphée éloquent des adullamites. Ajoutez qu’en dehors du cabinet il s’est associé des administrateurs éminens, tels que M. Forster, vice-président du conseil d’éducation, et M. Layard, chief commissioner pour les travaux publics. Tous, quels que soient leurs talens ou leurs prétentions, leurs diversités d’opinions ou leurs antipathies, s’inspirent de sa pensée, et concourent, sous sa direction, à une œuvre qui tend à rajeunir l’Angleterre.


P. CHALLEMEL-LACOUR