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dès qu’on s’est aperçu que nous ne disposions pas de suffisans moyens d’action dans une si grande lutte.

La guerre une fois engagée, il fallait au moins savoir exactement à quelle puissance on avait affaire ; on avait sous les yeux l’exemple encore si récent de la campagne de Bohême, La tactique, les ressources, les procédés de la Prusse étaient là tout entiers. On ne pouvait ignorer qu’en divisant ses forces sur une longue frontière, on s’exposait à ces marches en grandes masses d’armées ennemies se dirigeant sur un même point, à ces concentrations puissantes qui, presque à heure fixe, viennent écraser toutes les résistances, si on leur en laisse le temps, si on ne les déjoue pas à propos. Nos états-majors avaient leur plan, nous n’en doutons pas, et même on dit que ce plan, minutieusement étudié, n’était pas loin d’être exécuté, Malheureusement pendant qu’on étudiait, les Prussiens marchaient, un peu étonnés eux-mêmes de n’avoir pas été attaqués. La situation changeait à chaque instant. On croyait encore l’ennemi à Trêves ou sous Mayence, quand il était à Sarrebruck, on le voyait au-delà du Rhin, dans la Forêt-Noire, quand il était à Wissembourg. On était débordé tout à coup, et le plan, longuement médité pour l’offensive, ne servait plus à rien. On était pris au dépourvu. Les premiers faits de la campagne de Bohême se renouvelaient sur notre frontière dans des conditions moins favorables encore, il faut le dire ; de la part des Prussiens, c’est absolument la même stratégie qu’on n’a pas pu ou qu’on n’a pas su déjouer, L’insuffisance des préparatifs, la multiplicité des commandemens, l’extension de notre ligne, la confusion des marches et des mouvemens, une confiance pleine d’illusions devant un ennemi audacieux et habile, tout devait contribuer à ces premiers revers. L’héroïsme de l’armée n’y pouvait rien, il ne pouvait que défier la mort en faisant éclater plus vivement encore à tous les yeux ces premières causes d’un désastre immérité.

Assurément, dans tous les cas, on se serait ému d’une défaite essuyée à nos portes, sur notre sol, on en aurait cherché les raisons, on aurait pu même, dans un moment d’anxiété patriotique, être injuste pour ceux qui auraient eu l’infortune de céder le terrain devant l’ennemi ; mais ici, il faut bien l’avouer, comme si ce n’était pas assez de la vérité elle-même, le gouvernement sans le vouloir a fait ce qu’il a pu pour ajouter à l’émotion publique. Depuis que cette guerre est commencée, le gouvernement a employé le système le plus infaillible pour entretenir l’agitation, pour fatiguer, déconcerter, irriter l’opinion, Ah ! nous le savons bien, il y a des circonstances où il n’est pas facile de se conduire, et quand deux armées sont aux prises, quand on est en pleine action, on ne peut publier tout ce qu’on fait et répondre à toutes les curiosités impatientes. Encore faut-il savoir faire accepter cette réserve inévitable et exercer use autorité morale par la décision, par une virile confiance