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soutenue avec le plus mâle héroïsme, il s’est fait respecter ; il n’a perdu que ce qu’il ne pouvait plus sauver. Ses soldats l’ont vu au feu comme un simple colonel, tenant tête à l’ennemi, multipliant les efforts pour ramener les glorieux débris de ce corps mutilé, restant vingt-cinq heures à cheval au milieu de ces braves gens, attristés de n’avoir pu vaincre pour la France.

La conséquence de cette journée fatale à la fois près de Wissembourg et sur la Sarre, c’était notre ligne brusquement percée et la retraite obligée de Mac-Mahon sur Nancy, du général Frossard sur Metz ; c’était la frontière ouverte aux Prussiens, qui s’y sont précipités ; c’était en un mot l’invasion, et en effet, depuis ce moment, l’ennemi n’a pas tardé à déborder de toutes parts, à pénétrer dans les Vosges, tandis que, profitant de ce succès, une autre armée allemande passait le Rhin pour venir mettre le siège devant Strasbourg. Ainsi l’Alsace inondée, Strasbourg menacé, les Vosges entamées, les Prussiens se reliant sur notre territoire et poussant au loin leurs reconnaissances, notre armée obligée de rétablir ses communications et allant concentrer son action sous Metz en attendant l’occasion d’une éclatante revanche, voilà la vérité cruelle. Telle qu’elle est cependant, aussitôt qu’elle est apparue, cette vérité a eu un autre effet ; elle a soulevé la France, elle s’est imposée à tout le monde, elle a fait courir dans tous les cœurs un frisson électrique, elle a placé le pays en présence d’une situation qu’on ne soupçonnait pas, à laquelle on n’aurait pas cru la veille. Ce n’était plus le moment d’hésiter ou de se bercer d’illusions fatales. On a réuni immédiatement les chambres pour préparer avec elles une défense inexpugnable, pour organiser le déploiement de toutes nos forces, pour diriger cette explosion de patriotisme qui s’est manifestée au premier bruit de nos revers. En face de l’ennemi campé sur notre sol, la nation s’est levée tout entière, froissée dans son orgueil, menacée dans sa grandeur, troublée dans sa confiance, irritée d’une déception à laquelle elle n’était point préparée, et la première victime de ce mouvement a été le ministère lui-même, qui a disparu en un instant au souffle d’un orage parlementaire, qui trop évidemment n’a point été à la hauteur des circonstances qu’il avait créées par la manière dont il a conduit nos affaires.

Eh bien ! oui, notre armée a eu des malheurs que rien ne faisait prévoir ; la conséquence de ces malheurs est cette invasion poignante pour toutes les âmes françaises, et ces douloureux événemens devaient avoir pour effet de réveiller tous les patriotismes, d’inspirer au pays de viriles résolutions en affaiblissant l’autorité de ceux qui nous ont conduits à cette extrémité. La plus dangereuse de toutes les politiques cependant serait de se méprendre sur les causes de ces malheurs, sur les ressources de la situation de la France, sur ce qui reste à faire. Sans doute il y a eu des revers pénibles pour notre fierté militaire ; mais ces revers