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livre tout entier, se tient dans les régions sereines du spiritualisme le plus élevé. L’étude de la nature a augmenté son respect pour l’esprit, la liberté, la personne, la vie de l’âme. Constater des lois naturelles, ce n’est d’ailleurs jamais nier l’existence ou les attributs de la Divinité. On comprend même mieux le Créateur établissant des règles immortelles que s’il apparaissait à tout instant pour modifier son ouvrage ; mais ce serait sortir de notre sujet que d’examiner à ce point de vue la doctrine de M. Edgar Quinet. Il faut se borner à saisir ce lien qui réunit la nature tout entière sous une même loi, qui montre que ce qui est vrai en un lieu est vrai partout, dans l’esprit et les mouvemens humains de même que dans les transformations de la matière, non parce que tout est matière, mais parce que rien n’est livré au hasard.

Et ce n’est pas seulement à une philosophie qui peut être contestée que M. Quinet a rendu service en publiant le livre de la Création. Il a contribué à augmenter l’amour de la nature et le sentiment de la beauté. Il a relevé encore les découvertes de ce siècle en les exposant dans un langage éloquent. Il a montré comment les lettres et les sciences se peuvent unir, après avoir été si longtemps séparées ; les arts même prennent place dans ce livre, qui touche à tant de choses. N’est-il pas juste enfin de ne pas séparer de l’ouvrage la personne même de l’auteur ? Nous sommes entourés d’hommes qui ont noblement supporté le naufrage de leur cause et de leurs espérances. Nul d’entre eux plus que M. Quinet n’a cherché des consolations à des sources plus nobles et plus pures. L’exemple qu’il nous donne se joint à toutes ses leçons. S’il est vrai que les troubles civils aient leurs lois comme les révolutions terrestres, que le mal qui nous apparaît profond et durable puisse avoir des conséquences heureuses, et que d’une catastrophe qui détruit tout autour d’elle, un monde plus parfait puisse sortir, M. Quinet peut lui-même être comparé à ces êtres dont il parle, et qui survivent aux révolutions pour annoncer une aurore nouvelle. Son Histoire de la révolution avait déjà montré combien son talent a grandi dans l’exil, combien ses opinions sont devenues plus nobles encore et plus libérales. Le livre de la Création témoigne d’une rare souplesse d’esprit et de cette faculté toujours jeune d’apprendre et d’inventer. On ne le lit point sans partager l’ardeur généreuse de l’auteur et sa passion d’aimer et de servir ces deux grandes choses : la science et la liberté.


PAUL DE REMUSAT.